Le train de 4h pour Thunder Mesa

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17/06/1879 - Ce carnet. Voilà tout ce qu'il me reste de mon ancienne vie. Je n'ai jamais vraiment compris à quoi me servirait ce carnet, pourquoi j'en aurais besoin. Mais, aujourd'hui, quitte à tout laisser derrière moi, autant essayer de nouvelles choses. Ce carnet me permettra de fixer ma vie quelque part, d'avoir une prise, une mémoire, alors que tout s'efface derrière moi. Peut-être que je pense pouvoir combattre les choses et leur périssabilité, les actes, les gens. Peut-être que je pense pouvoir exister, quelque part.

Ils ont récemment étendu le chemin de fer jusque là-bas, je serais arrivé dans quelques heures. Je vois les premières montagnes rocailleuses émerger du désert brûlant de l'Ouest américain, vaste et aride, sauvage. Je devrais arriver avant la nuit. Cette machine impressionnante qui traverse une nature dans laquelle l'Homme n'aurait pas du s'aventurer, ni survivre, et où il a eu l'audace de s'installer. Je ne suis pas chez moi ici, et je ne le serais jamais. J'aimerais pouvoir descendre de ce train, mais je suis ce train. Constamment en direction de quelque part, en traversant tant bien que mal cet environnement qui n'est pas le mien. Je n'arrive jamais, je ne m'arrête jamais. Les animaux me narguent, les vaches voient le train passer et exhibent la douceur de leur vie sédentaire alors que je suis prisonnier du monstre à vapeur. Je vois les premiers arbres apparaître, témoins du climat légèrement plus clément de cette région. Là où j'habitais avant, c'était le règne de la chaleur terrible. La chaleur qui écrase, qui transforme les corps, les esprits, qui fait boire, qui fait cracher, qui marque la peau, qui fait gronder les bêtes - mais non. Ce journal ne sera pas le terrain de jeu des créatures de mon passé. A chaque mètre que fait ce train, mon passé se consume un peu plus, il aura bientôt disparu, tandis que moi, j'arrive à Thunder Mesa.

Souvenirs de Thunder MesaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant