18/06/1879 - Il est minuit passé de quelques minutes. Me voilà enfin à Thunder Mesa. Alors que je regardais, il y a quelques heures, la petite aiguille atteindre le 4 sur ma montre, le train entamait son ralentissement, pour finalement s'arrêter devant la gare de Thunder Mesa.
Les quelques personnes qui étaient encore à bord avec moi descendent, puisque cette curieuse ville marque la fin de la ligne. Une fois que je débarque à mon tour, je peux voir une longue file d'attente se former près de la gare, des gens aux habits très élégants, et d'autres au guenilles aussi vieilles que les miennes. Alors qu'un cheminot me dépasse les bras chargés de bois, je l'interpelle :
« Dites, pourquoi tout le monde attend ici?
- Oh ça m'sieur » il avait l'accent local, trainant, à peine compréhensible, « Ils essaient d'avoir une voiture ou un cheval pour rejoindre les villes alentour, personne ne s'arrête ici.
- Pourquoi en avoir fait le terminus alors?
- On dit que le Maire s'est battu bec et ongle pour amener le train ici, pour redynamiser la ville on dit. Mais ce sera pas l'terminus bien longtemps, on travaille déjà a étendre la ligne. »
J'avais connaissance de la déchéance qu'avait connu cette ville autrefois prospère. C'était en rapport avec la fermeture de la mine, qui était la véritable colonne vertébrale de Thunder Mesa. Mais, je m'en rendrais bien vite compte, les âges prospères de la ville sont bien révolus. Sauf pour ce qui est de la vente de cheval, ça va de soit. C'est d'ailleurs ironique que le plus gros succès de la ville soit celui qui aide à la fuir.
J'ai quitté les fuyards et les cheminots, pour m'aventurer seul sur cette large allée, couronnée par une immense pancarte: Bienvenue à Thunder Mesa. Il n'y avait pas grand monde en ville alors que je me rapprochais du centre, et dépassais une immense grange rouge. Il y avait beaucoup de choses à observer, mais mes yeux ne voyaient plus très bien, mon esprit ne pensait plus très bien; j'avais faim et soif. J'ai alors décidé de laisser la découverte de la ville à plus tard, alors que je m'approchais d'une grande bâtisse, que j'ai vite identifiée comme le Saloon local. Quelques voix faibles émanaient de l'intérieur, alors que je me tenais à quelques mètres du bâtiment. Je pouvais lire la grande enseigne du premier étage qui disait « Lucky Nugget Saloon ». En grondant, mon ventre m'indiqua qu'il était temps de pousser les portes battantes. Alors je suis entré, attiré par l'odeur de l'alcool et des pommes de terre.
C'est ainsi que j'ai vu le plus beau Saloon de ma vie, et pourtant j'en ai vu d'autres. Mais qui pouvait soupçonner que dans cette ville poussiéreuse et à l'abandon, quasi-déserte, derrière cette façade à priori banale, pouvait se trouver un tel lieu. Tout était fait d'un bois soigneusement taillé et vernis, la salle circulaire -ce qui est déjà une sacrée anomalie en soit, donnait sur une scène splendide, avec des éclairages modernes, où je pense que de grands spectacles devaient se donner il fut un temps. Derrière celle-ci, une immense toile occupait tout le fond de scène, j'y ai reconnu la ville de Thunder Mesa ou, en tout cas, ce à quoi elle devait ressembler avant la fermeture de la mine, avant que la peinture ne s'écaille, que le maquillage ne craquèle; j'aurais aimé connaître la ville à ce moment là, bien que je ne doute pas que cette toile possède une partie de fantasme. C'est en levant la tête que j'ai pu voir que le premier étage était aussi richement décoré que le rez-de-chaussée. Et, au sommet, un lustre impressionnant couvert de chaînes qui ressemblaient à des bijoux, qui tombaient de bustes en bronze qui rappelaient des figures de proue. J'étais sous le choc. La seule chose qui jurait avec cette salle -qui ressemblait plus à une salle de théâtre ou d'opéra, c'était les gens qui s'y trouvaient. Quelques cheminots marqués par le travail prenaient leur pause au bar, le visage tourné vers leur verre. Une partie de poker sans grande conviction se disputait entre quatre fermiers à l'air épuisé, autour d'une petite table ronde. Un homme dormait au premier étage, la tête bord de la rambarde du balcon. Si la vision de la salle m'avait enchanté, la vision de ce tableau déprimant me faisait sérieusement remettre en cause ma décision de venir vivre ici - dans la mesure où c'était une décision. Mais il était trop tard, j'étais déjà ici, dans cette ville morte. J'ai du rester immobile à observer les réguliers, les lieux et mes doutes pendant un moment, puisque j'ai entendu une voix sur ma droite qui m'appelait, me sortant de ma rêverie :
« Eh m'sieur, je peux vous aider? »
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Souvenirs de Thunder Mesa
Mystery / ThrillerBaxter quitte son passé tumultueux pour une nouvelle vie à Thunder Mesa. La ville, autrefois prospère, est aujourd'hui presque déserte, et offrira au jeune homme le calme qu'il recherche pour pouvoir tourner la page. Ou, du moins, c'est ce qu'il cr...