Chapitre 8 : une solution de secours

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Pensive, je laisse mon regard se perdre entre les lignes d'un livre que je ne lis pas. Des images obsédantes tournent en boucle dans ma tête, sans que je puisse en faire abstraction. J'entrevois la moto bâchée, John allongé, le visage marqué et les mains crispées sur sa jambe. Je revois les traits altérés de Billy. Je pourrais même ressentir l'angoisse qui l'étreignait lorsqu'il a débarqué dans le couloir.

Moi aussi, je l'avais sentie, cette angoisse. Tout s'était précipité dans ma tête, j'avais imaginé mille scénarios, tous plus atroces les uns que les autres. Le soulagement avait été immense de découvrir Johnny presqu'indemne. Encore aujourd'hui, après trois jours enfermée chez mes parents, mon cœur s'affole à l'idée de ce qui aurait pu lui arriver. Je me suis renseignée. La troupe de Merce a une solide réputation, en matière de danse et d'enseignement, bien entendu, mais aussi en termes de combattivité. Il y a, d'après ce que j'en ai appris, beaucoup de jeunes qui ont fait leurs premières armes dans la rue. Ils réagissent à l'instinct, parlent facilement avec les poings, et jouent la provocation constamment.

Nulle surprise à ce qu'ils avaient provoqué Johnny et Billy. L'école leur a « volé » de nombreux élèves, certains très prometteurs, et après la défaite cinglante que John et Penny leur ont infligée à cette audition, leur réaction n'a rien d'étonnant. Surtout que d'après ce que j'ai pu apprendre, ils projettent une large tournée dans tout le pays et même ailleurs pour la seconde partie de l'année. Il leur faut des fonds – des fonds, que l'altercation avec John leur a fait perdre...

Je ferme d'un coup sec mon livre et le projette au pied de mon lit. Peut-être ai-je été trop dure avec mon homme ? Mais Johnny est du même moule : impulsif, puissant, bagarreur, passablement provocateur. Ce qui s'est produit à l'audition en est la preuve. C'est évident qu'il aurait répondu par les poings à ce genre de situation !

Il n'empêche. Ça n'excuse pas le fait qu'il s'est jeté dans la mêlée sans se soucier un seul instant des possibles conséquences.

S'il n'assure pas les prestations qu'il a conclues, le show du congrès médical par exemple, s'il ne peut plus auditionner pour remporter des contrats, ni participer à la dernière présentation pour ce contrat hôtelier, et encore moins assurer les cours à l'école, la situation risque de devenir très vite critique. Les finances de l'établissement fonctionnent selon un équilibre fragile, et je doute que l'on puisse compter éternellement sur l'aide de mon père pour nous maintenir à flot...

Et tout cela, mon compagnon ne l'a pas pris en considération avant de rendre les coups ! J'en suis là de mes réflexions, hésitant entre me rouler en boule sous ma couette et me lever pour rejoindre Johnny, quand la porte s'ouvre.

- Ma chérie, fait ma mère en passant la tête dans l'ouverture, tu as de la visite.

Elle s'efface avant que je ne puisse lui signifier que je ne veux voir personne. Deux battements de cœur, et la porte s'ouvre en grand. Johnny, appuyé sur son cousin, s'y encadre, incertain. Je me redresse vivement dans mon lit. Mon cœur bat la chamade. J'ai chaud et je meurs d'envie de courir me blottir dans ses bras. Néanmoins, je reste immobile, suspendue à ses lèvres, à son regard.

- Bébé, lance-t-il finalement de sa voix rauque. Je... cela...

Il a un regard embarrassé pour Billy. Celui-ci le lui rend, puis lève les mains.

- Comme tu veux, jette-t-il en se dégageant.

Il recule dans le couloir et disparait à toute allure, laissant John en équilibre précaire sur une jambe. Mon regard descend sur son mollet immobilisé par une encombrante attelle.

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