Chapitre 10 : « Dance »

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Le son se fait plus fort à mesure que je descends les marches. Je pousse la porte des vestiaires, les traverse et m'arrête devant celle de la grande salle de danse. La musique pulse depuis l'autre côté. Je pose ma main dessus, hésitant à la pousser.

Je ferme les yeux, à l'écoute des tonalités, du rythme. Les laisse s'enrouler autour de moi, m'envahir et s'approprier mon corps. Je me laisse porter par eux, frémissant de tout mon être. Et c'est en me focalisant dessus que je pousse enfin la porte.

La musique me saisit d'emblée. Elle s'accroche à moi et s'empare de tout mon corps. Je la ressens jusque dans ma peau.

J'avance silencieusement, calant mes pas dans le rythme qui se déverse. Là, dans la lueur du soleil déclinant, John danse. Sa jambe n'est pas entièrement remise, je le constate à sa posture et à son appui, cependant cela lui suffit pour se déplacer sans aide et presque sans boiter. Encore quelques semaines et tout sera redevenu comme avant.

Sauf que ce temps, il ne l'a pas.

Dans trois jours a lieu ce ridicule défi. Et l'audition est planifiée cinq jours plus tard. Je retiens un soupir, recadre mes pensées sur la musique. Le rythme. Les sons. Les paroles. Les instruments en arrière-plan.

Je rive mes yeux au danseur. A ce corps souple et viril, si grand, si fort, délié d'un extrême à l'autre dans la danse. Ses pieds s'activent, son corps enchaine, sa gestuelle attire l'œil. Il n'est que mouvement en parfait accord avec la musique. Il se déhanche aux changements de ton, se dresse vers les aigus, esquisse les tombés dans les graves et part en pirouette et tourné lorsque le chanteur entame le refrain.

Je l'envie. J'aimerais danser avec cette aisance, cette facilité – avec autant de grâce et de beauté. Malgré son aide depuis que l'on se connait et ces cours que je suis régulièrement ici, je sais parfaitement que jamais je n'aurais ce don qu'il possède de naissance, et qui fait de lui le danseur qu'il est.

Une sensation amoureuse se réveille dans le creux de mon corps à le regarder plier les genoux pour mieux s'élancer dans la diagonale de la pièce. J'aime John à un point que je ne saurais expliquer. Je doute qu'il ait conscience de la profondeur des sentiments qui m'habitent. Mais il sait que je l'aime, et il m'aime en retour, et cela me suffit.

Mon compagnon se rassemble dans l'attente de la reprise. Et marque le contretemps en pivotant sur lui-même dans une ronde serrée parfaitement maitrisée. Il en sort, bras écartées, jambes fléchies, prêt à poursuivre le mouvement, quand son regarde passe sur moi. Il me survole d'abord sans vraiment me voir puis me découvre enfin. J'esquisse un sourire, regrettant presque qu'il s'interrompe. Son corps se détend, se relâche et il me considère. Ses yeux reflètent tout à la fois un étonnement, une interrogation, un amour intense et une once de fierté. J'aime quand il me regarde ainsi. Je m'avance pour lui éviter de me rejoindre.

- Hey.

- Hey.

Je frôle sa jambe du doigt, tourne autour de lui. La musique résonne toujours dans la pièce, en fin de morceau. John me suit du regard, silencieux. Son torse nu se soulève en cadence - il reprend son souffle. Je résiste un temps à l'envie de toucher ses pectoraux. Y cède finalement. Le bout de mon doigt s'en vient se poser sur sa peau et le faire frissonner.

Un silence ouaté succède aux dernières notes. J'en profite pour parler.

- Tu vas mieux, on dirait.

- Chut.

John me saisit les mains, recule en m'entrainant avec lui. Je plonge dans l'intensité de son regard. Les premières notes d'une nouvelle musique résonnent. Mon compagnon esquisse un mouvement des bras pour en suivre le tempo et à l'instinct, je l'imite. Il me tire alors à lui, enroule ses bras à moi... et débute quelques pas.

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