RAYONNANT [BoyxBoy]

CHAPITRE I

Tout le monde, sur cette planète, voue un étrange culte aux listes. C'est bien simple : nous en trouvons partout, dans toutes les langues et dans tous les genres. Cela va de la banale liste de courses que votre mère a oubliée sur la table de la cuisine à LA liste de vos désirs/rêves les plus profonds Classée Hautement Secrète mais que vous partagez quand même avec vos copains en ricanant.

Fort bien. J'accepte la société et ses névroses, après tout, je n'en suis pas dénué. Et je me plie, pour votre satisfaction, à faire une liste. Celle-ci s'intitulera : Raisons pour laquelle ma vie est chaotique.

° Ma psy me prend pour SON psy.

° Je suis un individu mâle attiré par les individus mâles.

° J'ai tendance à employer un vocabulaire légèrement différent de celui usé par mes Pairs Adolescents.

° Je suis béat d'admiration lorsque je me retrouve face à une œuvre littéraire.

° Je suis particulier.

En fait, je ne suis pas particulier comme beaucoup de gens l'entendent. Je n'ai pas cinquante mille pustules étalées sur le front qui forment le mot "cheese" en lettres grasses et je ne bave pas devant un poster de Madonna auquel je fais subir d'étranges rituels païens. Je n'ai pas non plus décidé de partir à la conquête de l'Himalaya chaussé d'une paire de tongues jaune canari.  Bien que je n'ai absolument rien contre ces types de gens "particuliers" cités précédemment. Ce qui fait de moi un être différent est ma capacité à NE PAS me fondre dans le décor de la population lycéenne que je fréquente assidûment du lundi au vendredi, de 8h00 à 17h00. 

Vous me direz que, comme beaucoup d'adolescents de mon âge, je me cherche et c'est la raison pour laquelle je ne me fonds pas dans la société. Ce à quoi je répondrai que je ne joue plus à cache-cache depuis mon entrée au collège, merci bien.

Non, je ne suis pas torturé comme ont pu l'être avant moi Charles Baudelaire ou encore Arthur Rimbaud. Blague à part, aviez-vous déjà remarqué qu'en plus d'être un poète doué, Rimbaud était certainement plus canon que la majorité de la population peuplant notre bien-aimée Terre ?

Donc reprenons. Je disais que j'étais incapable de me fondre dans la masse. J'ai essayé, à vrai dire, car qui n'a jamais rêvé d'avoir des relations sociales qualifiées de normales ou de posséder le dernier jeans à la mode capable de faire baver d'envie son voisin de paillasse en cours de Physique ?

Si vous répondez "moi", vous pouvez cocher l'une de ces deux cases :

A- Je suis le pire menteur de l'univers.
B- Je me contrefous du regard « des autres ».

Si c'est la seconde option, sachez que je vous envie fortement et que je serais prêt à vous prêter mon exemplaire préféré d'« Aurélien » de Louis Aragon pour la simple et bonne raison que vous valez le détour.

Non mais sérieusement ! Qui n'a jamais rêvé de se ficher de tout ?

Bref. Mes efforts pour me faire des amis se sont révélés infructueux. Les 34 personnes avec lesquelles j'ai tenté des techniques d'approche « basiques » (piochées sur WikiHow) m'ont fait comprendre que je n'étais pas digne de leur intérêt.

Et c'est là que vous commencez à vous questionner au sujet de mon apparence physique. Ai-je une odeur corporelle saine ? Certainement. Un visage propre ? Tout à fait. Une dentition non-agrémentée de morceaux de salade verte ? Check. Une dégaine convenable ? Étant donné que c'est ma mère qui choisit mes vêtements après deux-trois revisionages d' « Un nouveau look pour une nouvelle vie » avec l'experte Cristina Cordula, je pense que je peux dire oui.

Ok, j'avoue, il m'arrive de délaisser mon fringant uniforme d'adolescent lambda pour un t-shirt Harry Potter et un kilt tricolore.

J'aime laisser respirer mon intimité, que diable !

Et je comprends que ça puisse choquer la première fois. Du moins, je l'ai compris après que Magalie, la déléguée de ma classe, ait hurlé de terreur en m'aperçevant habillé de la sorte.

C'est tout de même un scandale ! Pourquoi les filles auraient-elles le droit d'aérer leurs parties génitales et pas les individus de sexe masculin ?

Je vous jure, l'évolution a ses limites dont les limites s'en foutent royalement !

Tenez, puisque tout le monde ici semble adorer les listes, je vais faire une liste pour défendre l'intérêt de porter des kilts. Il faut parfois savoir plaider sa cause. Tous les moyens sont bons ! Points comme poings sont permis !

J'aime faire des jeux de mots, même si mon psy me dit souvent que je devrais essayer d'oublier deux secondes mon humour qu'il qualifie gentiment d'absolument dénué d'intérêt.

Mon psy. Parlons-en de mon psy. Encore un qui a souhaité suivre Freud dans ses délires dus – je le rappelle, ça ne peut pas faire de mal – à une consommation massive de drogues en tout genre et qui s'est perdu entre la page 5 de son manuel dont le chapitre portait sur la capacité à écouter le patient et le chapitre 6 qui, lui, vantait les mérites du dessin-tâche-d'encre qui est censé représenter quelque chose de particulier pour chacun des patients.

Pour tout vous dire, je me demande à chaque fois qui a renversé son café sur ma feuille avant ma séance.

Je suis un peu dur avec Alex (c'est le nom de mon psy) car après tout, il n'a pas que des défauts. Il a aussi quelques qualités. Par exemple, il me laisse disputer seul une partie de Scrabble pendant qu'il me raconte les problèmes affreux qui parsèment sa vie. Et il fait du très bon chocolat chaud.

Et Alex a une excellente connaissance des adolescents normaux. Il sait s'y prendre pour aborder quelqu'un. Pas comme moi, quoi.

D'ailleurs, c'est à cause de lui que j'ai retrouvé le peu de confiance que j'avais en l'humanité. Pour tout vous dire, j'étais installé dans son canapé et il me parlait de sa copine qui voulait absolument s'engager dans une relation plus sérieuse comprenant enfants-chien-maison-avec-véranda, ce qui l'effrayait passablement car ça signifiait la fin de ses soirées jeux vidéo avec ses copains quand j'ai soupiré que moi, j'aimerais bien être à sa place parce qu'il n'était pas particulier, simplement un peu spécial.

« Tu n'as qu'à prendre des cours de normalité, Aaron, a-t-il lancé, sarcastique. Prends exemple sur les mecs de ton âge ! »

Et là, ça a fait « tilt » dans ma tête et j'ai soudainement eu l'image de Louis Rutherford, le jeune homme le plus admiré de ma classe et peut-être même de ma promotion, incrusté dans ma rétine. J'avais besoin d'un professeur pour me métamorphoser en « Monsieur Tout Le Monde » ? Eh bien j'aurais le meilleur.

Louis Rutherford saurait me changer en ado normal, il suffisait juste que je lui demande de me filer des cours...

Et qu'il accepte.

J'allais éviter de porter mon kilt tricolore adoré le jour où je me lancerai.