Chapitre V

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Il était assis sur la fontaine du « Parc Victor Hugo » quand j'arrivai.
Cela faisait presque deux semaines que nous nous retrouvions un soir sur deux pour des leçons de normalité mais Louis Rutherford n'avait toujours pas laissé tomber le boulet que j'étais.

J'avais appris à répondre aux questions de convenance sans hausser un sourcil déconcerté et à tenir un dialogue en usant d'un langage adapté aux autres élèves. J'avais toujours des difficultés à jurer comme un charretier mais Rutherford ne m'en tenait pas rigueur.

Je foulai les feuilles qui tapissaient le sol d'un pas leste et il releva la tête vers moi, esquissant un léger sourire, ses yeux pétillant d'une lueur amusée.

« Salut Eckhart.
— Pourquoi me gratifies-tu d'une mine si réjouie, Rutherford ?
— J'ai un défi pour toi. Tu vas venir avec nous à la sortie ciné demain soir et tu vas enfin mettre nos ''cours'' en application ! »

J'en restai figé d'effroi. J'avais bien entendu parler de cette sortie cinéma parce que Magalie Maillard, la déléguée de la 1L3 – notre classe – avait lancé l'idée d'une sortie commune quand elle avait remarqué qu'au bout de deux mois passés ensemble, nous avions toujours du mal à former une classe soudée. Et elle semblait vraiment y tenir, à cette classe soudée. Un accomplissement de sa vie de déléguée peut-être ?

Bref. Bien qu'ayant entendu parler de ce projet, je n'avais pas osé m'y joindre. Alors la proposition de Louis Rutherford me laissait mal à l'aise.

« Quoi... C'était pas toi qui voulais des amis ? C'est l'occasion rêvée de sociabiliser ! lança le blond d'un air ravi.
— C'est quoi le film déjà ? demandai-je après un raclement de gorge gêné.
— Une rediffusion de « Le Crime de l'Orient Express ». »

Mince. Difficile de résister à la tentation d'aller voir une adaptation cinématographique d'une œuvre majeure d'Agatha Christie. J'avais lu le livre au moins trois fois et j'étais toujours aussi bluffé par le dénouement. Et j'étais un fan inconditionnel de l'inspecteur Poirot.

« Je ne suis pas sûr que mes parents me laisseront sortir demain soir, tentai-je d'une voix faible.
— Pourtant on se retrouve quasiment à la même heure plusieurs fois par semaine et ça ne leur a jamais posé de problème jusqu'à présent...
— Je leur ai dit que c'était pour les cours, répliquai-je, affolé.
— Eckhart, on ne t'a jamais dit que tu ne savais pas mentir ? »

J'étouffai un rire qu'il s'empressa d'imiter. Je finis par hocher la tête pour accepter l'invitation et il se redressa sur le rebord de la fontaine, amusé.

« Il y aura toute la classe.
— Il faudra que je révise mon plan dans ce cas.
— Ton plan ?
— Heu... Ouais. J'ai fait un plan de qui est ami avec qui. Pour m'y retrouver.
— T'es pas sérieux ? ricana Louis en me tapotant l'épaule.
— Je te jure que si. »

Chacun ses manies. Vous c'est les listes, moi c'est les plans.

« Toi tu restes tout le temps avec Nicolas Combes, Liam Launay et Amélie Heilbrown, par exemple, même si tu t'entends parfaitement bien avec toute la classe. Et Amélie et Nicolas ne peuvent pas se supporter donc il y a souvent des disputes dans votre groupe. Liam Launay adore embêter Camille Dulive. Magalie déteste Amélie et inversement. Léonard Breton passe son temps à rappeler à Jude Renzo ce qu'elle a oublié. D'ailleurs, Jude est une amie d'enfance de Magalie, on se demande comment elles peuvent être amies : tu as un mélange entre la fille la plus tête en l'air du lycée et l'autre qui est amoureuse de l'organisation. Théodore Dublois louche sans arrêt sur le décolleté de Sophie Franz et Rose Desmouret essaye de persuader Isis Levendell de sortir avec Anton Roche...
— Ok, me coupa Louis d'un air impressionné. C'est limite flippant, là.
— Alex dit que je suis très observateur. »

Quand il daigne m'écouter durant nos séances. La plupart du temps c'est moi qui m'intéresse à ses petites histoires.

« C'est qui Alex ?
— C'est mon psy. Il est complètement nul mais je l'adore.
— Alex Harvin ?
— Oui. Tu le connais ?
— Il n'y a qu'un  seul psy à Saint-Croix », répondit simplement Louis Rutherford.

Pas étonnant, nous habitions dans une petite ville dÎle-de-France à environ vingt minutes de Paris en train. J'aimais beaucoup Saint-Croix car c'était très tranquille mais il fallait reconnaître qu'outre son minuscule cinéma et sa bibliothèque municipale, il n'y avait pas grand chose. Quelques cafés, un collège, un lycée et des écoles, un parc et des jolies maisons. Pas de quoi casser trois pattes à un canard. Heureusement que la gare nous reliait à la capitale, c'était tout de même plus pratique pour sortir un peu.

« Alors tu viens demain ?
— Entendu. »

Nous passâmes le reste de la soirée à discuter dans le parc à propos des paroles que je devais – ou non – tenir en société. M'était avis que Louis Rutherford n'avait toujours pas digéré le coup des gauchers.

RAYONNANT [BoyxBoy]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant