J'aurais aimé posséder un guide d'analyse des comportements humains, je ne m'en serais séparé que sur le siège des toilettes, et encore.
J'avais parfois l'impression que les gens et moi ne parlions pas le même langage. J'étais un acacia. Voilà. Et les autres... Les autres étaient les girafes qui mangeaient mes feuilles malgré mes multiples protections. Ils ne me voulaient pas de mal, mais ils causaient ma perte, en quelque sorte, et actionnaient les rouages compliqués de mon cerveau pour me forcer à trouver une solution qui nous mènerait à une sorte de pacte tacite.
Genre feuille pour feuille, langue pour langue.
Quelque chose qui s'en approchait, du moins.
Bref. Je me faisais ces réflexions des plus intéressantes, installé sur un banc dans la cour du lycée, espérant apercevoir Louis Rutherford se faufiler à l'entrée de l'établissement après avoir subi une énième fois les foudres de la concierge, Mme Myrte. J'avais remarqué qu'il était toujours en retard et que, par conséquent, la vieille femme aigrie qui ressemblait un peu à Cruella d'Enfer dans les 101 dalmatiens, ne l'appréciait guère.
Après quelques minutes d'attente, mon souhait fut exaucé et j'esquissai un sourire satisfait en voyant une chevelure dorée avancer dans ma direction. Rutherford était loin d'être laid, à ce moment-là. Ses yeux d'un brun presque chocolat pétillaient de vivacité et les quelques tâches de son qui mouchetaient la peau pâle de son visage bien dessiné étaient tout à fait attrayantes. Si l'on exceptait son nez légèrement de travers, Rutherford avait un physique à faire pâlir Rimbaud.
Je décidai de le rejoindre rapidement avant que ses amis ne rappliquent tels des vautours pour encercler ma proie et m'assurai auparavant d'avoir enfilé mon pantalon dans le bon sens et passé une main dans mes mèches châtain clair, parfaitement anodines.
« Rutherford ! » lancai-je une fois qu'il fut assez proche pour m'entendre.
Il leva la tête vers moi, cligna doucement des yeux comme pour s'assurer que c'était bien à lui que je m'adressais et finir par sourire doucement.
Je me rappellais soudainement la raison pour laquelle Louis Rutherford m'était apparu comme une évidence quand j'avais décidé de mettre mon plan génial à exécution : non seulement il était tout ce qu'un adolescent lambda pouvait rêver d'être, mais en plus, il était réputé comme étant gentil, serviable et intelligent.
« Bonjour Eckhart, me salua-t-il poliment en se plantant devant moi après avoir jeté un regard gêné derrière lui.
— Un problème ? »J'avais lu sur un site que le regard en arrière n'était pas exactement signe de confort. Bah quoi ? J'étais quand même prévenant, comme garçon ! Il ne fallait pas que je me laisse avoir parce que je n'avais pas su analyser sa gestuelle !
« Pourquoi tu as deux chaussures différentes ? » finit-il par lâcher en observant mes pieds avec une expression ahurie.
Comme quoi je n'étais pas le seul à rester focalisé sur des détails idiots ! J'aurais pu mettre mon kilt, il ne l'aurait sans doute même pas remarqué !
« Aucune importance, répliquai-je. Je voulais te demander un service.
— À moi ?! »À ton avis ? J'ai l'air de m'adresser au pachyderme invisible d'à côté ?
« Oui.
— Quel genre de service ?
— Je veux que tu fasses de moi un adolescent normal. »J'eus l'intelligence de me souvenir que l'écarquillement des yeux ajouté à la dilatation des narines signifiait un réel ébahissement, aussi m'empressai-je d'ajouter :
« Tu me donnes des cours particuliers pour que j'apprenne à être normal, si tu préfères.
— Mais... C'est bizarre comme idée ! »C'est normal, c'est un mélange entre une proposition ironique de mon psy timbré et le fruit d'une profonde réflexion de mon esprit !
« Justement, c'est pour ça que j'ai besoin de toi : tu es tout ce qu'il y a de plus normal. Si tu m'apprends à être comme toi, je n'aurais plus jamais ce genre d'idée ! »
J'étais un génie, à n'en pas douter.
« Bon, admettons, soupira le blond. Qu'est-ce que j'y gagne ?
— Je peux te payer.
— Merci, mais je ne suis pas une pute.
— Bah non, répondis-je en fronçant les sourcils. Alors, tu veux quoi ?
— J'y réfléchis et je te dirai ce soir. Tiens, voici mon numéro, ajouta-t-il en griffonnant quelques chiffres sur une feuille abîmée.
— Nous avons cours ensemble toute la journée, dis-je en le regardant avec étonnement.
— Ouais, mais je reste avec mes potes la journée. Il est hors de question que nos... Leçons particulières... Empiètent sur ma vie sociale. C'est clair ?
— Okay. »Il me sourit et m'adressa un signe de tête tandis que la sonnerie résonne dans le lycée. C'était l'Ôde à la joie de Beethoven. La musique me semblait très adaptée aux circonstances car pendant que Rutherford s'éloignait pour retrouver ses amis, je sentis que j'allais enfin pouvoir réaliser mon rêve.
Et j'étais joie.
*.*.*
Louis Rutherford :
J'accepte à la condition que tu me files ton plan pour la dissertation de demain. Et notre première séance aura lieu demain, 19h au parc de la fontaine rouge.Aaron Eckhart :
À demain.

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RAYONNANT [BoyxBoy]
Teen FictionAaron Eckhart n'est pas vraiment un garçon comme les autres. Toujours décalé, il semble planer dans un monde qui ne lui ressemble pas. Alors, l'année de ses dix-sept ans, après un rendez-vous chez son psy de pacotille, Aaron décide de prendre les ch...