Chapitre 1

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Adossée à un sapin, je pense. J’essaie de réfléchir tout en restant concentrée. On ne sait jamais où ses espions peuvent être, même certains arbres sont de son côté maintenant.

La neige tombe autour de moi, et malgré mes vêtements peu chauds je ne tremble pas. Même si il l’est depuis longtemps, j’ai du mal à croire que le froid est réellement mon ennemi. Je le ressens, bien sûr. Et évidemment, je sais très bien qu’il est capable de me tuer. Mais tout en lui est beau. Les vastes étendues couvertes de neige, les stalactites, les lacs gelés.

Je me reconcentre, mes yeux sautant sans cesse d’un endroit à un autre. Rester vigilante. Toujours. C'est ce qu’il m’a appris. Et maintenant il faut que je prenne la relève. La nouvelle génération de rebelles, d'autres innocents qui veulent seulement le retour du Lion, et qui se feront massacrer, comme toutes les générations d’avant, par l’armée adverse. Mission de recrutement. Synonyme de suicide. Les habitants ont peur d’elle. Ils ne lui désobéiront pas. Moi, par contre… Je jette un coup d’œil en direction d’un buisson, que j'ai cru voir frémir. Rien. Je décide de reprendre ma route, avant qu'une patrouille ne débarque.

J’efface mes traces à l’aide d’une branche de sapin que je porte en permanence dans mon dos, près de mon arc. J'hésite un moment. Le chemin ou les bois ? Si je tente de passer par le sentier qui serpente à dix mètres sur ma droite, j'ai de fortes chances de tomber sur eux. Et si je coupe par la forêt dense, je laisserai inévitablement des traces profondes dans la neige immaculée. Mais logiquement, personne ne devrait passer par là. Du moins je l’espère.

J’opte pour le bois. Les arbres y sont si resserrés qu’il est presque impossible d’y faire passer un cheval. Si j’ai affaire à des loups, je pourrais toujours grimper et me déplacer d’arbre en arbre. Leurs branches sont si épaisses que je peux y marcher sans aucun problème, et l’espace presque inexistant entre chacun d’eux permet de circuler dans les airs en toute liberté. Je marche, toujours aux aguets. J’essaie d'éviter les branches basses, je n’ai pas envie de faire chuter une épaisse couche de poudreuse sur ma tête, la seule partie de mon corps qui n'est pas recouverte, ni de tremper mes vêtements usés jusqu'à la corde. Notre armée a déjà du mal à trouver de la nourriture, les vêtements sont encore plus rares. J’ai la chance de posséder deux paires de chaussettes en laine et quelques sous-vêtements de rechange, j’évite donc de me plaindre. Ça ne rimerait à rien de toute manière. Mes plaintes ne feront pas pousser les fruits, et ne feront certainement pas apparaître de vêtements neufs.

Je continue ma route, essayant de vider ma tête de toutes ces pensées parasites. Je me concentre sur mon itinéraire espérant ne pas m’être déjà perdue. La neige, bien que bloquée partiellement par les branches lourdes des sapins, tombe en lourds flocons. Le ciel est embrumé, j’ai du mal à voir à dix mètres de moi. Le vent siffle dans mes oreilles, cinglant mon visage, me criblant de flocons si froids que j’ai l’impression d’être piquée par des dizaines d’aiguilles de glaces. Je n’ai rien pour me protéger le visage, et je commence à ne plus sentir mon nez. Je sors une de mes paires de chaussettes de ma besace et les noue ensemble pour me constituer une sorte d’écharpe, couvrant mon nez gelé et ma bouche. Heureusement qu’elles sont propres. Je n’ai jamais eu aussi froid de toute ma courte vie.

Je résiste à l’envie de me blottir sous un arbre et de dormir. Je ne me relèverais pas. Il faut que je continue. Je trébuche dans la poudreuse, j'en ai maintenant jusqu'à la taille. Visiblement, il a neigé plus abondamment dans cette partie de la forêt. Je continue néanmoins. Jamais je n’oserai me présenter au campement sans au moins une nouvelle recrue.

La neige semble ne jamais s’arrêter de tomber, et je sais que si je ne fais pas demi tour maintenant je risque de me retrouver ensevelie sous la neige et de mourir de froid. J’ai quatorze ans, mais la mort ne m'est pas étrangère. Chaque jour, je me lève en me disant que je ne vivrai peut être pas assez longtemps pour voir un nouveau soleil. Il y a presque quelque chose de réconfortant dans la mort. Là-bas, plus de bataille quotidienne pour survivre, plus de désespoir, plus de combat perdu d’avance. Juste l’inconnu, le néant. Le silence.

J'ai l'impression que faire un pas demande un effort surhumain à mon corps gelé. Un pied devant l'autre. Un pas. Encore un. Je me force à avancer, malgré le froid qui tétanise mes membres et rend chacun de mes mouvements douloureux. Je ne veux pas finir comme ça. Pas après tout ce qu'on a déjà vécu. La mort, si tentante qu'elle puisse paraître, n'est pas une option envisageable.

Je sors de la forêt. Enfin. Le brouillard m'empêche de voir où je vais, mais je pourrai parcourir ce chemin les yeux fermés. Narnia est mon pays. Je le connais par cœur, sur le bout de mes pieds fragiles.

Je suis arrivée. Heureusement. Mes gants miteux n'ont pas réussi à protéger convenablement mes mains, qui sont devenues bleues. Quinze minutes de plus et je les aurais perdues. Je m'assieds près d'un feu, protégé de la tempête par un rocher incliné, formant une sorte d'abri. La chaleur irradie dans tout mon corps, brûlante. Je retiens une grimace de douleur. Un centaure s'approche de moi.

"Que le Lion te protège, Maya." me dit-il.

Je lui souris en guise de réponse.

"Bonsoir, Jinnan."

- Ne t'inquiète pas. Les étoiles m'avaient dit que tu devrais faire demi-tour."

Jinnan trouve toujours ses réponses dans les étoiles. Mais il les oublie la plupart du temps, et s'en souvient miraculeusement une fois la prophétie accomplie. J'avoue lui en vouloir un peu, mais je souris simplement.

" Contente de te l'entendre dire." je réponds.

Il hoche la tête et me laisse tranquille. Je soupire et observe mes mains. Elles ont presque repris leur couleur d'origine. Je me détends un peu. L'angoisse la plus présente ici est de perdre un membre et de ne plus être capable de se battre. Les personnes se retrouvant dans cette situation sont souvent les premières à mourir. Ce que je dis peut paraître cruel, mais je ne suis pas indifférente au sort de ces gens, loin de là. C'est la vérité, et même si elle est dure je la préfère mille fois à des mensonges enrobés d'or.

L'autre narnienneWhere stories live. Discover now