Chapitre 25

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Déjà six ans depuis ce jour. Six ans depuis la victoire. Nous n'avons connu que la paix depuis. Et le peuple a oublié la guerre. Les ambassadeurs se succèdent dans la grande salle de Cair Paravel. Telmar, Calormen, Archenland. Des alliances diplomatiques qui ne peuvent qu'être brisées un jour ou l'autre.

Six ans de conseils matinaux, de réunions d'urgence. Six ans d'insomnie, de nombreux jours d'entraînement, d'aller-retours hebdomadaires à la tombe de Jinnan.

Six ans que j'entraîne Edmund, tous les matins, sans relâche. La différence, c'est qu'en prenant de l'âge, il a gagné en taille et en musculature. Moi non. Les rapports de force se sont inversés très vite. Je le bats en adresse et en agilité, mais il a largement le dessus en termes de puissance pure. Il est en voie de devenir un épéiste de renom, j'en suis certaine.

Ces entraînements sont devenus ma motivation première. Je sais très bien qu'ils ne relèvent pas de mes fonctions. C'est juste que je ne me vois pas faire autre chose de mes matinées.

Je recule d'un pas et essuie la sueur qui perle à mon front.

"Presque. Mais pas tout à fait ça. Vise l'aisselle, il y a un petit espace vulnérable entre les deux parties de l'armure à cet endroit.

- Tu ne portes pas d'armure, observa-t-il.

- Ton adversaire en aura certainement une. On se reconcentre."

Il se remet en garde avec un soupir, et je fais de même en prenant une grande inspiration. J'ai l'impression que l'épée volontairement émoussée que je porte devient de plus en plus lourde au fil des exercices.

" J'attaque à gauche. Tiens-toi prêt." j'annonce posément avant d'attaquer à droite.

Mais ma lame est vite parée par celle d'Edmund. Je souris imperceptiblement avant de relâcher la pression que j'exerce sur sa lame.

" Bien. Et maintenant ?"

Je balaie ses deux pieds tout en me désaxant, manquant de perdre l'équilibre à cause de la pression de sa lame sur celle de mon épée. Il s'écroule dans la poussière.

Je pose la pointe de mon épée sur sa gorge découverte.

" Dose la force que tu mets dans ta lame. Il n'y en avait pas assez. Si tu en avais mis un peu plus, je serais tombée en arrière.

- T'as gagné." soupire-t-il.

Je rengaine et lui tends la main pour l'aider à se relever. Mais au lieu de s'en servir pour se remettre sur pieds, il en profite pour me déséquilibrer tout en se propulsant vers le haut, et c'est à mon tour de mordre la poussière.

Je me retourne et tente de m'asseoir lorsque mon cou rencontre le froid d'une lame. Rageusement, je laisse ma tête retomber au sol.

"Tu m'as eue. Mais en situation réelle, ton adversaire...

-Ne me tendra pas la main pour m'aider à me lever, je m'en doute. Mais je t'ai quand même eue.

-Très drôle." je râle.

"C'est pas courant, ça, comme situation. fait une voix moqueuse depuis le chemin de ronde.

-Descends te battre, Peter Pevensie, tu riras moins. je le provoque.

-Dis ça aux filles, ça fait dix minutes qu'elles vous observent en hurlant de rire." fait-il avec un sourire moqueur.

"Susan, tu as un bal à organiser et Lucy, une ambassade à recevoir dans trois heures ! je rappelle en levant l'œil au ciel.

-On ne pouvait pas rater ça" , argumente Susan avec un sourire dans la voix avant de tourner les talons et rejoindre la grande salle, Lucy à ses trousses.

Edmund finit par rengainer et me tendre la main. J'étouffe un rire.

"T'espères vraiment que je vais te faire confiance ? je dis avec un grand sourire.

-Très bien, lève-toi toute seule si tu y tiens tant.

-Va te faire voir, Edmund Pevensie. je dis avant d'attraper son poignet et de me relever. L'entraînement est fini. Demain, même heure ?"

Un hochement de tête me répond, et je tourne les talons. Je sens sérieusement le bouc après l'entraînement, et j'ai plus que besoin de me laver.

Aux alentours de midi, l'ambassade de Calormen arrive. En retard comme à leur habitude. Mais ils ont au moins le mérite d'être venus, contrairement à  la dernière fois.

Les préparatifs de la soirée vont bon train. Je m'assure que les tours de garde sont bien programmés, que chacun sait ce qu'il a à faire pour que cette soirée soit parfaite. Hors de question qu'un imprévu cause un incident diplomatique. Les Calormènes sont très susceptibles, et pourraient nous causer bon nombre d'ennuis si par malheur ils se sentaient insultés.

Je retrouve Will quelques heures plus tard.

"J'ai essayé de te contacter, mais tout ce qui m'a répondu est un descriptif des tours de gardes de la soirée. Tu n'es pas trop surmenée ?

-Désolée, je ne pouvais pas vraiment me concentrer sur autre chose, je m'excuse. Il y a du travail, tu sais ?

-Ne m'en parle pas, je suis en train d'avaler un bouquin sur les traditions Calormènes pour être sûr de ne froisser personne.

-Qui a eu l'idée de conclure une alliance avec eux ? J'en ai déjà par dessus la tête...

-C'est nous deux, je te rappelle. Et cette alliance est bénéfique à Narnia, il n'y avait pas à tergiverser cinquante ans.

-Tu sais comme moi comment ça va finir.

-Justement, avec un peu de chance ça finira plus tard et nous serons prêts. Leur manière de combattre est très différente de la nôtre. Si nous sommes alliés suffisamment longtemps, nous pourrons comprendre leurs techniques, et la façon de penser de leurs commandants.

-Ça marche dans l'autre sens, tu réalises ?

-Évidemment. Mais ça n'a pas grand chose à voir. Nos techniques sont déjà enseignées à Calormen, et je suis prêt à te parier qu'ils ont des espions chez nous. Ce que cette alliance nous offre, c'est de rattraper notre retard.

-Espérons seulement que nos bourdes en termes de tradition ne mettront pas l'alliance en péril avant même sa conclusion..."

L'autre narnienneWhere stories live. Discover now