Chapitre 7

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Je glisse les deux dagues dans ma ceinture, si on peut encore appeler le bout de cuir marron qui entoure ma taille maigre ainsi. Je jette un œil aux alentours. Nous n'avons malheureusement pas le temps de nous attarder ici, ce n'est pas parce que ce traîneau n'était pas celui que je pensais que le prochain ne le sera pas. J'ignore si je suis assez importante pour qu'elle cherche réellement à me retrouver. J'espère de tout cœur que non.

Je me racle la gorge, espérant me faire entendre. J'ai évidemment l'air d'une rabat-joie, mais mieux vaut ça plutôt que de risquer d'être découverts.
"Il faut vraiment qu'on y aille." dis-je en insistant sur le vraiment.

Nous finissons par repartir, et malgré le danger je peux sentir que tout le monde a le cœur plus léger. Je me doute que, là d'où viennent les Pevensie, il est passé plus récemment que chez nous. Ça fait au moins cent ans qu'on l'attendait. Sans aucun résultat, malheureusement. Mais voir un visage ami fait toujours du bien, même si il nous a abandonnés pendant quelques temps.

La marche est toujours aussi pénible, mes muscles atrophiés par tant d'inactivité me font souffrir. Je n'ai pas le droit de ralentir le rythme, il faut que nous arrivions le plus vite possible. Mais comme j'aimerais pouvoir me laisser glisser contre un tronc d'arbre et ne plus bouger, ne serait-ce que quelques minutes.

Des hurlements se font entendre au loin. Cette fois-ci, je suis sûre qu'il ne s'agit pas d'un allié. C'est Maugrim, et toute sa meute. Elle les a lancés à nos trousses. Et il faut courir, encore une fois. Je ferme la marche, soi-disant pour les couvrir. En réalité, je ne peux plus les suivre.

Il paraît que sous l'effet de l'adrénaline, le corps possède des ressources que nous ne soupçonnions pas jusqu'alors. Peut-être que c'est véridique, mais le corps est humain, et il a lui aussi ses limites. Je les ai atteintes, je le sens. Mes genoux cèdent sous mon poids, et je m'écroule dans la neige. Je tente de me relever, mais le moindre mouvement fait frissonner tout mon corps. Mes muscles sont parcourus de décharges de douleur. Je n'ai plus d'énergie. Je suis faible.

Je déteste me sentir impuissante. Et cette sensation est pire que tout. Je suis à la merci de la première créature qui passerait par là. Les autres ont continué. J'étais déjà derrière eux, ils ne se sont sans doute pas rendu compte que je manquais à l'appel. Ou ils n'en avaient juste rien à faire, mais j'en doute.

M'appuyant sur mes avant-bras tremblants, je rampe jusque derrière un roc de granit, et me recroqueville pour conserver ma chaleur corporelle. Les traces de mon corps se traînant dans la neige trahissent sans peine l'emplacement de ma cachette, mais je doute que les loups s'y attardent. La vision des canidés est bicolore seulement et relativement mauvaise par rapport aux humains, et dans leur empressement une faible baisse du niveau de neige passera inaperçue. Ce dont j'ai peur, c'est de leur flair. Ils connaissent certainement mon odeur.

La peur me noue l'estomac. La seule chose qui me rassure, c'est que s'ils me trouvent ils ne prendront pas la peine de me ramener là-bas, mais informeront simplement leur maîtresse de mon emplacement. Les deux dagues à ma ceinture me permettent de me battre, même à terre je pourrais avoir raison de deux ou trois loups, voire plus si ils sont suffisamment stupides pour ne pas m'attaquer tous en même temps. Je me force à garder une respiration calme. Inspire. Expire. Me dit la petite voix dans ma tête. Calme-toi, Maya. Respire. C'est bien. Calme-toi. Ça va aller.

Un bruit de pas précipités me pétrifie, et je serre les dents, ma main gauche crispée sur une de mes dagues, l'autre plaquée contre ma bouche pour m'empêcher de laisser échapper le moindre son. Les pas s'éloignent rapidement, et j'en conclus, peut être un peu trop vite, qu'ils ne m'ont pas vue ni sentie. Je m'autorise un soupir de soulagement. J'espère seulement que les autres s'en sortiront. Si ils ont eu le temps d'atteindre la rivière gelée, ils sont probablement déjà hors d'atteinte.

Je ne sais pas combien de temps je suis restée ici. Sans doute moins de deux heures, mais le temps m'a paru interminable. J'ai mangé une plante que j'ai déterrée près de ma cachette, une sorte de racine au goût terreux. Ça ressemble vaguement à une carotte, mais en moins bon et plus dur. Je m'en accommode, au moins j'ai quelque chose dans le ventre maintenant. Je me redresse péniblement, en m'appuyant le mieux possible contre la roche, et je marche comme je peux jusqu'à la rivière. Elle n'est plus très loin, à peine une dizaine de minutes.

Je dois me rendre à l'évidence. Je suis bel et bien coincée. Il ne reste plus rien de l'épaisse couche de glace que j'ai connue. Impossible de traverser autrement qu'à la nage. Je n'ai pas le choix. Heureusement, de l'autre côté, l'arrivée d'Aslan semble avoir commencé à réchauffer le climat, je peux apercevoir des tâches de couleur percer les buissons, de nouveau verts. Je suis éblouie. Je n'avais jamais vu de buissons verts en dehors de ceux, épineux, qui entouraient notre ancien camp. Mais ceux-là ont des feuilles, des feuilles d'un vert éclatant que le vent léger fait frémir. Il n'y a plus à hésiter.

Je retire rapidement mon manteau et les quelques vêtements que j'ai sur le dos, me laissant en sous-vêtements. Le vent frais fait frissonner mon corps, et mes poils se hérissent. Je noue mes vêtements en un petit baluchon grâce à ma ceinture, et attache le tout au manche de ma dague. Ça ne pèse pas bien lourd, mais je sais que la trajectoire de mon arme en sera quand même modifiée. Je m'applique pour viser le tronc imposant d'un hêtre, de l'autre côté de la rivière. Je n'ai droit qu'à un essai, un seul.

Je lance le plus fort possible mon arme, qui va se planter tout droit dans le tronc visé. Pas trop mal, pour une reprise. Satisfaite, j'envoie l'autre dague rejoindre la première et me jette à l'eau sans aucune hésitation.

L'autre narnienneWhere stories live. Discover now