Chapitre 10

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L'avantage d'arriver après le grand événement, en l'occurrence l'arrivée de Peter, Lucy et Susan, c'est que personne ne vous remarque dans la cohue. Vous n'êtes qu'un visage au milieu des autres, comme tout le monde.

Traverser le camp jusqu'à son centre est plutôt facile, même si je ne regarde pas vraiment où je marche. Je me contente de suivre Will comme je peux, tout en essayant d'enregistrer le plus d'informations possible. Je ne sais plus qui a dit ça, mais le savoir est le pouvoir. Alors, j'observe, les yeux grand ouverts. Je dois avoir l'air d'une gamine ébahie, mais ce n'est pas vraiment le cas. Je suis concentrée, ne voulant laisser échapper aucun petit détail. Les issues les plus discrètes, notamment. Je tente d'évaluer le nombre de soldats, mais c'est impossible. Ils sont bien trop nombreux. Pas eux. Je rectifie mentalement. Nous.

Pour la première fois depuis si longtemps, je ne suis plus seule. Alors, même si j'ai du mal à contenir ma rage d'avoir été abandonnée, je ne cracherai pas sur leur aide. Nous avons le même objectif, après tout.

Nous finissons par atteindre ce qui semble être la tente principale, un peu surélevée. Un lion est posté devant, et je devine immédiatement de qui il s'agit. C'est lui dont nous avons espéré le retour, lui qui pouvait nous sauver. Et il n'est pas venu, lui non plus. Je serre les poings, et mes ongles s'enfoncent jusqu'au sang dans la chair de mes paumes. La rancœur est de retour, et malgré mes efforts pour l'étouffer je la sens grandir dans ma poitrine.

Nous nous avançons vers lui, Will et moi, et mon ami baisse les yeux respectueusement. Mais pas moi. J'ancre mon regard dans celui du lion. Il ne me fait pas peur, et je ne lui dois rien.

Si Will avait les yeux rieurs, il disait que les miens gelaient les gens sur place. Il disait qu'on aurait dit deux étincelles de colère, et que je lui avais fait un peu peur la première fois qu'on s'était rencontrés. Pourtant, mes yeux marron me semblaient tout à fait ordinaires. Mais lui disait qu'il semblaient brûler d'un éclat ambré. Il m'appelait Feu-Follet, avant... Pourtant, j'avais essayé de lui expliquer que les feux follets étaient bleus, mais il ne m'a jamais écoutée.

Je me reconcentre sur la situation, et tente de ne pas laisser mon tempérament colérique reprendre le dessus. À quoi ça servirait, de toute manière ? C'est pas une gamine rachitique qui va faire peur à un lion géant, si ?

Aslan, car c'est son nom si mes souvenirs sont bons, prend la parole.

"Je sens de la colère en toi, enfant.

-Non, tout va bien. je réponds avec un sourire forcé.

-Je te dois des explications. Viens." dit-il simplement.

Je hoche la tête, et jette un coup d'œil à Will avant de suivre le lion imposant, qui se dirige vers un surplomb rocheux.

La vue est splendide. Bien plus que les buissons épineux qui entouraient le camp de mes souvenirs. J'en ai le souffle coupé. Les immenses étendues de glace et de neige ont laissé place à une mer verdoyante, une plaine immense. Au loin, on peut l'apercevoir, toujours engoncé dans un épais manteau blanc. Le château de la Sorcière, qui me paraissait autrefois immense et menaçant, me semble d'ici minuscule et insignifiant. J'aimerais penser qu'elle ne peut plus m'atteindre, que cette époque est révolue. Mais tant que son sang ne se répandra pas sur l'herbe verte de la prairie, je ne serai pas en sécurité. Du moins pas entièrement.

J'ai conscience que je suis égoïste. Mais ma vie passe avant tout. Pendant un moment, la mort m'avait semblé la meilleure des alternatives. Rejoindre mes amis, rejoindre Will. Mais maintenant que je sais que lui et Alys sont vivants, je reste malgré le peu de chances que j'ai de m'en sortir. Bien sûr, j'aimerai pouvoir éviter la bataille. Mais ce n'est plus le temps des négociations depuis longtemps déjà. À vrai dire, ça ne l'a jamais été.

L'autre narnienneWhere stories live. Discover now