Chapitre 22

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Je cours au bout du couloir, espérant voir la silhouette familière du Lion se diriger vers la sortie, encore à ma portée, mais je me heurte à la vision d'un couloir désert. Je cours jusqu'au prochain couloir, mais la même déception m'attend. Il est vain de tenter de le rattraper, j'en ai peur. Je détourne le regard et me dirige vers la grande salle à nouveau. Je dois parler de ça à Will. À moins qu'il ne soit déjà au courant.

"Je suis désolé d'avoir lu dans ta tête. Mais il m'a semblé que c'était important, alors..."

Je me retourne en entendant la voix de mon ami, mais il n'y a personne. Je fronce les sourcils.

"Ne me cherche pas. Je suis dans la grande salle, avec les Pevensie."

Quoi ? Qu'est-ce qu'il raconte encore ? Est-ce que ce sont mes hallucinations qui reviennent ? Celles qui m'ont accompagnée pendant un an et demi ? Je croyais que retrouver Will les avait fait disparaître.

"Aslan avait bien dit que ça ne devrait pas tarder, non ? Ton don."

Ça veut dire que je suis en train de lire dans sa tête ? Et à distance, en plus ? C'est... Dément. Il n'y a pas d'autre mot.

"Retrouve-moi dans la grande salle. On en parlera." dit encore sa voix dans un coin de ma tête.

Je remonte les escaliers quatre à quatre et finit par déboucher dans la grande salle remplie de monde. Je cherche mon ami du regard en avançant de quelques pas. Une main tape sur mon épaule, et je me retourne.

"Je suis là. dit Will d'un air soucieux.

-Pourquoi il ne nous en avait pas parlé avant ? C'est du délire ! On ne va plus vieillir, on va voir mourir tous les gens auxquels on tient, un par un ! Il aurait au moins pu nous prévenir ! j'explose.

-Calme-toi. Il t'a expliqué ses raisons. Il voulait être sûr que nous ne faisions pas ce choix uniquement pour ne pas mourir de vieillesse.

-Que je me calme ? je réponds en fronçant les sourcils. Que je me calme ? Mais tu ne vois pas ? Il nous a piégés, on n'a plus le choix maintenant, qu'on le veuille ou non on ne vieillira plus ! Je vais rester une gamine de seize ans toute ma vie, jusqu'à ce que quelqu'un me tue ou que je m'en charge moi même !" je crie, avant de voir que les personnes autour de moi se sont retournées vers nous.

Je pars en courant, retenant le cri de colère qui monte en moi. Je me réfugie dans un couloir désert. Des pas précipités résonnent derrière moi.

" Ne dis pas de choses pareilles. Ça va aller, d'accord ? Il faut le temps que tu t'habitues à l'idée, et après...

-Comment tu fais pour rester aussi calme ? Tu comprends ce que ça veut dire ? Toutes les personnes qu'on aime vont mourir avant nous ! On ne pourra s'attacher à personne, parce qu'on saura qu'ils vont vieillir et disparaître ! Et Susan ne fait pas exception à la règle, Will ! "

À son regard, je sais que je l'ai blessé.

" Je ne voulais pas...

-Bien sûr que si. C'est exactement ce que tu voulais dire." fait-il en tournant les talons.

Je regarde sa silhouette s'éloigner, impuissante. Je ne peux pas le retenir. Pas après ce que j'ai dit. Je l'ai déçu, lui aussi. Mon œil s'emplit de larmes, et je finis par repartir.

Je marche depuis longtemps déjà. Je dirais deux heures. J'ai quitté Cair Paravel. J'ai longé la côte, traversé un bois et une plaine, avant de rejoindre la forêt. Selon ce que Will m'a dit quelques jours auparavant, la tombe ne devrait plus être très loin.

C'est lui qui l'a enterré, une fois remis. Parce qu'il n'étaient plus qu'une dizaine, et qu'il avait tenu à s'occuper du corps. Je lui en suis reconnaissante. Je n'aurais pas supporté de savoir que le corps de mon mentor avait pourri sur place, à la merci des corbeaux et des charognards. Il tenait à sa dignité, jusqu'à la fin. Il me manque. J'aurais aimé le savoir à mes côtés, sentir sa force, poursuivre mon apprentissage jusqu'à être digne de son enseignement.

Je finis par trouver la pierre. Entre deux arbres au feuillage percé par les rayons du soleil, près d'un ruisseau tranquille. Il aurait aimé cet endroit, la paix qui y règne à présent. Il aurait aimé connaître le printemps, j'en suis certaine. Il connaissait le nom des fleurs, mais n'en avait jamais vu une seule.

Je m'assieds en tailleur devant la petite stèle qui marque l'emplacement de la tombe. Je retire le bandeau qui cache mon œil blessé. Pas de mensonges entre nous, m'a-t-il toujours répété. Il me manque. Plus que mes parents, que je n'ai connu que brièvement. Il a été mon monde pendant des années, avant que nous ne rejoignions ce qu'on appelle désormais la Rébellion d'hiver. Enfin, celle des deux qui a échoué.

Les larmes me viennent, des larmes amères que je ne peux plus retenir. J'ai caché ma douleur. Pour réussir à vivre, pour ne pas me laisser ronger par le remords. Pour Lucy, Susan, pour Peter et Edmund, j'ai gardé ma façade. Mon masque de force et de sarcasmes. Mais maintenant, il ne m'est plus d'aucune utilité. Je me laisse aller, simplement, repliée sur moi-même sur le sol couvert de fleurs mauves de la forêt. Mes sanglots résonnent dans le calme de la forêt, et j'ai beau essayer de les atténuer, rien n'y fait. Je finis par me rendre, et je pleure toutes les larmes que j'ai contenues si longtemps, sans aucune retenue. Personne ne peut me trouver ici, autant en profiter.

L'autre narnienneWhere stories live. Discover now