Appartement de Stephen - 10 novembre
A présent Galaad est capable de saisir un objet assez gros à condition qu'il ne soit pas trop lourd. Dès qu'il s'agit d'opérations qui réclament un tant soit peu de force, comme couper un steak, ses mains déclarent forfait. Les doigts sont encore trop gourds pour saisir les couverts et les muscles trop faibles pour attaquer la viande. Alors, tel un enfant, il regarde les mains de Stephen s'activer pour lui. Il déglutit. Une nausée sourde et tiède monte depuis tout à l'heure. Un peu de sang coule des morceaux coupés dans son assiette. Il détourne le regard, écoeuré.
- J'en veux pas, je vous avais dit que c'était pas la peine.
Le vieil homme hoche la tête et pose les couverts. A regret il contemple le beau morceau de faux-filet qui va bientôt rejoindre la poubelle. Une fois de plus le repas du jeune homme est réduit à quelques bouchées.
- Essaye de manger. Tu n'as rien avalé. Fais un effort.
- Vous vous répétez et ça sert à rien. J'ai pas faim, c'est tout.
Le spectacle de la viande saignante voudrait rappeler des souvenirs tellement insoutenables qu'il a dressé un mur mental entre eux et sa raison vacillante. Alors s'il faut la manger, c'est au-dessus de ses forces.
- J'ai pourtant fait appel au meilleur fournisseur de...
- ... c'est pas ça. J'ai pas faim, j'ai aucune envie de manger. Ca me dégoûte ! crie Galaad.
- Qu'est-ce qui te dégoûte ? la viande ? Mais tu as mangé du poulet hier ! C'est toi qui m'a demandé du bœuf pour aujourd'hui. Il faudrait savoir ce que tu veux, rétorque Stephen en colère, je commence à en avoir assez de tes caprices !
Galaad prend un verre d'eau à deux mains, l'élève lentement, la bouche tordue en un rictus de souffrance. A mi-chemin, le verre tombe droit dans l'assiette et explose. Les morceaux de viande se répandent sur la table, dans une sauce parsemée d'éclats de verres et de filaments rouges. Le jeune homme baisse la tête, vidé du peu d'énergie qui lui restait. Il frotte machinalement ses paumes le long de ses cuisses. Le contact du jogging est lointain, mal défini, c'est un fantôme de sensations. Il a l'impression que ses mains sont en permanence sous anesthésie.
- Bon sang, s'exclame Stephen, mais fais un peu attention. Tu devrais quand même être capable de tenir un verre à présent !
Gal repousse sa chaise et s'éloigne en traînant les pieds.
- Je fais ce que je peux. Me faites pas chier.
Au bout de quelques minutes, Stephen se rend dans la chambre de Galaad. Le jeune homme est sur son lit, en position fœtale. L'ex chirurgien le regarde un long moment, pensif. Depuis qu'ils sont revenus bredouilles du squat en cendres, l'état du jeune homme ne s'améliore plus du tout. Stephen lui a proposé plusieurs fois d'aller chez son ami le luthier commander une nouvelle guitare, il a refusé. Ils ne peuvent échanger trois mots sans que l'un des deux se mette en colère. Galaad mange peu. Il a maigrit. C'est un peu comme si une part de lui même ne voulait pas guérir Les ecchymoses sur son visage et son torses devraient être résorbées, ce qui n'est pas le cas. Stephen a même l'impression que les bleus sont plus visibles, comme s'ils évoluaient à l'envers. Stephen soupire. Le garçon se tourne vers lui. Il n'y a plus de colère dans ses yeux. Juste une très grande lassitude. Stephen recule d'un pas avec l'impression de revenir au temps où il était interne à l'hôpital. Son neveu a le regard d'une vieil homme au service des soins palliatifs.
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L'enfance de l'art - Tome II : Le fou (Terminé)
Ficțiune generalăBlessé, traumatisé au plus profond de lui même Galaad n'est plus qu'une ombre à la stabilité mentale défaillante. Auprès de Stephen, dont il ignore presque tout, il va falloir se reconstruire, essayer de redevenir lui même et surtout, de retrouver...