12 mars – Atelier de Roman
- T'as pas cherché à le rattraper ? demande Pat en terminant son café.
Il dépose sa tasse, à l'effigie de John Coltrane, près de celle de Roman, décorée du visage de Marcus Miller. C'est un cadeau de Jenny pour Noël, afin d'égayer un peu les deux hommes rendus maussades pas l'absence de Gal.
Roman secoue la tête. Non, il n'a pas essayé de rejoindre Gal qui s'engouffrait dans les ruelles après avoir refusé de retourner dans la salle de concert. Il était bien trop en colère contre lui. S'il l'avait retrouvé, il aurait cogné, au mépris de tout ce qui les lit.
- Je suis resté seul un moment dans la voiture. J'avais les mains qui tremblaient. Puis je suis sorti. J'avais l'impression d'étouffer. J'ai croisé Fish et Lucille qui allaient au concert. Ils étaient en retard. J'y suis retourné avec eux. Tout de suite, j'étais ravi de ne plus le voir. Tu me connais, quand je me mets en rogne, je ne fais pas semblant. Mais ça n'a pas duré bien longtemps, tu t'en doutes. Je n'arrêtais pas de penser au gosse, j'ai quasi rien vu du concert. De toutes manières ce n'était pas le meilleur d'Hibbing. Lui, ça allait encore, mais ses musiciens n'avaient pas vraiment la pèche.
Il arpente son atelier de long en large avec l'impression que tous ses outils le toisent d'un air de reproche. Il fait une pose devant la machine à café et se sert une nouvelle tasse.
- Mais c'est peu être moi qui percevait mal les choses, poursuit Roman, je regardais tout le temps en direction de l'entrée, j'espérais qu'il allait se pointer à un moment où à un autre. J'arrêtais pas de penser que j'étais là, devant Hibbing et que lui zonait dieu sait où, à faire sans doute les pires conneries. C'était... Bon sang j'ai toujours voulu l'emmener voir Hibbing. L'année dernière, il a fait une tournée en Angleterre, je voulais lui payer le voyage, mais j'avais pas assez. Et maintenant... Tu peux pas savoir à quel point je m'en veux. J'aurais du garder mon calme.
- En ce moment, Gal c'est de la nitroglycérine, plus ça va, plus il est instable, c'est pas facile de ne pas s'énerver quand on est à côté, dit Pat songeur.
Roman se sent un peu moins coupable mais son inquiétude grandit. Si Pat avoue avoir du mal à garder son calme, lui si maître de lui en toutes circonstances, c'est que la situation a atteint son point critique.
- Il faut qu'on agisse avant qu'il nous pète une durite. Il faut qu'on trouve le moyen de lui faire entendre raison dans sa sale caboche de merde. Il a besoin de soins. Il faut pas qu'il reste comme ça, dit Roman d'une voix véhémente, bordel, j'ose même pas aller le voir pour lui parler. J'ai peur, Pat. Tu te rends compte ? J'ai peur de lui, de sa réaction si je ne trouve pas les mots qu'il faut et que ça aggrave les choses. Je sais qu'il est mal, que ça le rend terriblement fragile. Ça me fous tellement en rogne de le voir comme ça !
Pat ne dit rien, dubitatif. Oui, Roman a raison. Leur ami est mal en point. Il songe au dernier clochard qu'il a rencontré alors que ses deux amis étaient en route pour aller voir Hibbing. C'était un homme âgé d'une bonne soixantaine d'années, peut être moins, difficile à estimer. Vivre dans la rue au jour le jour vous use un corps. L'homme dormait sous des cartons, dans un vieux local d'entretien désaffecté, au pied d'un pont. Il y avait des poux dans ses cheveux longs et dans sa barbe. Ses jambes étaient enflées, parcourues de varices énormes. Il avait des ulcères un peu partout et une horrible corne sous les pieds, à force de porter de mauvaises chaussures. Il sentait mauvais. Ses dents étaient gâtées et un de ses yeux était recouvert d'une taie blanchâtre.
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L'enfance de l'art - Tome II : Le fou (Terminé)
General FictionBlessé, traumatisé au plus profond de lui même Galaad n'est plus qu'une ombre à la stabilité mentale défaillante. Auprès de Stephen, dont il ignore presque tout, il va falloir se reconstruire, essayer de redevenir lui même et surtout, de retrouver...