Foyer - 6 mars, tard dans la nuit
Encore secoué par sa dernière dispute avec Stephen, Gal se tient devant une porte anonyme dont Pat lui a donner les clefs sans un mot. Comme par hasard, la seule chambre de libre est celle qui se trouve juste en face de celle de Viviane. Tout est calme, il n'y a aucun bruit. Viviane doit dormir.
Gal pose son sac et sa guitare sur le lino d'un vert défraichi du couloir, puis il appuie son front contre le bois un peu écaillé de la porte. Après son départ de l'appartement de son oncle, il a erré longtemps, la tête vide. Puis il s'est réfugié dans le local de Coyote. Il a demandé les clefs à son ami, prétextant le besoin de se familiariser en solo avec les morceaux du groupe. Il n'a pas osé lui dire qu'il était très loin de son niveau d'avant. Il sait qu'il a besoin de s'entraîner énormément pour être à la hauteur. Coyote affiche très clairement ses ambitions pour son groupe, il veut être célèbre, connu, reconnu. Il n'hésitera pas à renvoyer celui qui ne saura pas tenir sa place.
Mais autre chose aussi, l'a taraudé. Un sentiment sur lequel il ne peut mettre un nom dessus, mais qui provoque une tension permanente qui finit par lui faire mal au ventre, aux épaules et au dos. Pour l'évacuer, il a joué aussi longtemps qu'il a pu. Il a joué à s'en rendre fou. Il a joué avec la douleur dans ses mains, jusqu'à ce qu'il ne puisse plus tenir un manche, jusqu'à ce que ses doigts tremblent et que la douleur irradie jusque dans son coude. Comme il n'a plus de médicaments, il a fait un tour par le congélateur de la cuisine du foyer, un bahut grand modèle dans lequel il a plongé ses mains un long moment entre les bacs de glace et les sacs de petits pois surgelé. Pat l'a laissé faire, observant avec inquiétude les membres enflés.
Gal tourne la clef dans la serrure, entrebâille la porte de sa chambre. Ici au moins, personne ne l'attend, pas d'oncle sourcilleux sur les horaires. Il ne subira plus aucune réflexion sur sa façon de vivre, de s'alimenter et même de s'habiller. Un air de Vivaldi lui parvient. Il traverse le couloir, un grand sourire aux lèvres et entre chez Viviane sans frapper. Il a agit par réflexe. Comme si un autre gouvernait son corps durant quelques instants.
Son amie est là, en tailleur, sur un lit recouvert de partitions. Ses lunettes ont glissé sur le bout de son nez. Gal ôte son chapeau, sourit encore. La fatigue lui fait voir tout à travers un voile gris mais c'est bon d'être à nouveau près d'elle. Pour un peu il s'en laisserait tomber à genoux.
Elle se tourne vers lui et l'étudie un instant. Il a une mine de déterré. Ses cheveux courts et hirsutes lui donnent l'air légèrement attardé. Elle lui fait un clin d'oeil puis, sans un mot, elle reprend et achève son morceau. Il l'écoute, les yeux fermé, le dos appuyé contre le mur. Il se laisse porter par cette musique tellement belle, tellement vivante. Il réalise combien ça lui a manqué, et combien la jeune fille a progressé. Tant de beauté, ça l'éblouit, le purifie.
- Ca y est, tu es rentré ? Alors, cette tournée, c'était bien ? demande la jeune femme alors que la dernière note vibre encore.
Il lui sert un sourire timide, pas très convaincant. Il se gratte la nuque. Il a demandé à Roman de garder le secret sur l'agression qui a failli lui coûter ses mains. Seules quelques personnes sont au courant, Pat, bien sûr et Niko, à qui Rom a demandé de s'occuper de refaire les papiers du jeune homme. Pour tous les autres, Gal est parti en tournée avec son ami Hank, le bluesman, comme prévu. Il avait pensé à lui dire la vérité, à elle, rien qu'à elle, mais les mots restent bloqués au fond de lui, comme un secret inavouable, une tare honteuse.
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L'enfance de l'art - Tome II : Le fou (Terminé)
Ficção GeralBlessé, traumatisé au plus profond de lui même Galaad n'est plus qu'une ombre à la stabilité mentale défaillante. Auprès de Stephen, dont il ignore presque tout, il va falloir se reconstruire, essayer de redevenir lui même et surtout, de retrouver...