La maison d'Annie Walker était froide et désolée.
Le jardin était en friche, les mauvaises herbes dévorant le potager et les rosiers. Les rideaux étaient tirés et seule une lumière vacillante illuminait l'intérieur poussiéreux. Le chauffage tournait et ne parvenait pourtant pas à réchauffer les grandes pièces vides. Le foyer était mort.
Annie ne dérogeait pas à ses habitudes. Elle préparait son thé tous les matins et tous les après-midi. Elle détestait le goût fade des feuilles colorées mais se raccrochait à sa tasse, brûlante sous ses doigts tremblants.
Elle ne savait pas : elle percevait. C'était mille fois pire. Un abîme grandissait à l'endroit où son cœur battait. Évaporé, le lien rassurant qu'elle entretenait avec les jeunes chasseurs qu'elle considérait comme ses propres enfants. Elle n'essayait pas d'entretenir de faux espoirs. Elle avait besoin de preuves, pas de murmures rassurants et de prières vides de sens.
Lorsqu'une Chevrolet - pas celle de Damien - se gara dans son allée, elle ne pleura pas. Aucune larme ne lui échappa lorsqu'elle observa Ashley sortir de la voiture et aider un garçon à avancer vers la porte. Elle se contenta de les regarder se débattre avec les gravillons et les mauvaises herbes, se soutenir et marcher ensemble, portant à deux un fardeau bien trop lourd pour leurs jeunes épaules.
La tasse d'Annie lui échappa des doigts et se fracassa au sol. Le thé était froid depuis longtemps ; depuis combien de temps se tenait-elle à cette fenêtre, dissimulée derrière un rideau, à guetter une voiture qu'elle savait qui allait venir ?
Elle ne toucha pas aux débris. Lorsque la sonnette résonna, elle alla leur ouvrir la porte. Elle fit un effort et leur sourit. Elle voulait pleurer.
Elle les guida à l'intérieur et, pour la première fois depuis des jours, alluma la lumière, s'aveuglant par la même occasion. Ils titubèrent jusqu'aux fauteuils disposés devant une cheminée à l'âtre exempt de flammes, s'effondrant. Annie s'affairait en silence, préparant du thé pour les réchauffer et les consoler.
Le thé n'était pas la solution.
Annie ne voulait pas parler. Elle savait, maintenant. Elle lisait la vérité sur le visage d'Ashley, dans ses yeux humides et la façon dont elle se cachait derrière sa main pour ne pas craquer. Elle voyait la culpabilité et les regrets tordre les beaux traits de l'inconnu lorsqu'elle posa une main rassurante sur son épaule tremblante.
Elle ne posa aucune question lors de leur arrivée, ni lors des jours suivants. La maison semblait un peu plus vivante et Annie aurait donné tout ce qu'elle avait pour retrouver le silence qui hantait les murs auparavant. La nuit, des pas agités et affolés résonnaient dans les couloirs. Des portes claquaient et des sanglots étaient étouffés dans des oreillers humides de larmes. Annie ne rêvait pas ; ses nuits étaient vides, faites d'un sommeil sans repos qui la laissait encore plus épuisée que la veille. Mais elle ne se plaignait pas. Pas quand Ashley hurlait de douleur, entortillée dans ses draps et persuadée qu'un démon tentait de l'enlever. Pas quand Luke ne pouvait pas fermer l'œil sous peine d'être harcelé par l'image floue d'une silhouette aux cheveux de feu et à la peau d'albâtre recouverte de sang et finissait par tomber d'épuisement au petit matin.
Finalement, c'est Ashley qui vint lui parler. Quelques semaines s'étaient écoulées depuis leur arrivée et Annie avait pris la décision de modifier la composition du thé qu'elle servait à ses invités. La valériane favorisait le sommeil sans rêve.
Elle parla longuement, la voix à peine audible et tremblante. Elle se tordait les mains et Annie resta figée. La télépathe était assaillie de toute part par ses émotions agitées. Elle voyait tout ce qu'Ashley avait vu et plus que jamais elle considéra son don comme une malédiction.
Annie pleura ce jour-là. De lourdes larmes dévalèrent ses joues maigres lorsqu'elle vit le bûcher que les deux chasseurs avaient érigé.
- Rory ne voulait pas être enterrée, murmura Ashley. Alors j'ai décidé qu'un bûcher était la meilleure solution. (Elle marqua une pause) On... Luke a trouvé Damien. Alors on les a brûlés ensembles.
Elle expliqua qu'ils avaient également brûlé l'ancien hôte d'Aryn. Il n'eut droit à aucune cérémonie : un simple trou, de l'essence et une allumette firent l'affaire.
- Je suis perdue, avoua-t-elle. Que dois-je faire ?
Annie décida que « perdue » n'était pas le bon terme. Ashley avait été méticuleusement brisée et s'efforçait de rassembler ses morceaux.
- Aller de l'avant, fit distraitement Annie.
Elle décida ensuite que ça n'avait aucun sens.
Ashley et Luke restèrent jusqu'à la fin de l'été puis ils décidèrent de partir. Ashley voulait faire une pause, réfléchir, peut-être guérir, avant de retourner à l'université. Était-ce cela, aller de l'avant ? Annie ignorait ce que Luke voulait. Elle n'avait pas pris la peine de chercher à le connaître. À quoi bon ? Il allait disparaître à son tour. Elle ne supporterait pas une autre perte.
Lorsque Luke et Ashley partirent, ils partirent ensemble. Comme à chaque fois que quelqu'un s'en allait, Annie agita la main sur le perron.
Et pour la première fois depuis des années, elle n'eut aucun pressentiment sur l'avenir, rien d'autre qu'un sentiment dévorant de vide et d'agonie.
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MEMENTO MORI
ParanormalLe monde a ses secrets. Des esprits emprisonnés qui hantent les vieilles maisons, de puissantes sorcières aux tendances meurtrières, des démons qui vivent dans les cœurs des hommes... Voici la réalité. Et la mission de Rory est d'anéantir cette réal...