Dans le noir

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Je tourne et tourne dans mon lit. Je fais des tours et des tours en enfonçant toujours plus ma tête dans mon oreiller dont la housse est si rêche que je peux sentir ma peau s'égratigner à son contact. Mon visage me brûle, mon corps est endolori et je n'arrive toujours pas à trouver le sommeil.

Pourquoi ?

Quel est ce bruit qui ne vient pas de ma chambre ? Il me semble qu'il s'agit de voix. Un homme ? Une femme ? Les deux peut-être. Tout semble si flou, si confus autour de moi. Je ne discerne rien que ces voix, qui m'empêchent de dormir paisiblement pour oublier ma journée mouvementée. Je décide enfin d'ôter cette couverture qui me gène depuis tout à l'heure. Le tissu qui me retenait prisonnière tombe au pied du lit, alors que je m'avance chancelante à la poursuite des voix qui troublent mon sommeil. Sur le passage, je fais glisser ma main le long de ma table de chevet. Elle tâte le vide, mais n'attrape pas ma lampe de poche. Tant pis, pas besoin de lumière, je n'ai qu'à suivre ces fichues voix. 

J'ouvre la porte de ma chambre et soudainement le bruit se renforce. C'est en bas, je suppose. La lumière de la cuisine est allumée. Étrange, je ne savais pas que maman cuisinait si tôt. Mais en fait, quelle heure est-il ?

Je m'avance encore. J'ai abandonné mes chaussons à l'entrée du couloir. Je veux faire le moins de bruit possible. Je ne sais même pas vraiment pourquoi, j'ai l'impression que je ne devrais pas être ici, j'ai cette espèce de boule au ventre comme aujourd'hui quand la maîtresse m'a grondé. Je longe finalement le couloir et reconnaît aussi la voix de mon père. Il doit faire la cuisine lui aussi.

Je m'approche de la pièce, mais cette fois ce ne sont plus de simples voix, mais des cris. Des pleurs se mêlent à tout cela. Je crois que ce sont ceux d'Antigona. Elle pleurs beaucoup, mais ça lui arrive souvent. Ses pleurs ont beau être forts, les voix sont plus fortes encore. Elles prennent à chaque seconde qui passe dix décibels de plus. J'ai le cœur serré. Je veux aller voir, mais j'ai toujours cette ignoble douleur à l'estomac. Je les entends. Je reconnais leur voix, mais je n'arrive pas à comprendre malgré toute ma concentration.

Plus les voix s'élèvent et plus ma tête tourne. Elle tourne comme je tournais dans mon lit. Des tours et des tours. Puis, dans un dernier élan de courage, je fonce et m'écrase contre l'encadrement de la porte de la cuisine en me cognant la tête. Un bruit sourd cette fois et des morceaux d'assiette finissent leur course dans les airs pour atterrir à mes genoux.

Mon père ne cuisine jamais.

On ne choisit pas sa familleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant