Instinct

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Après m'être forcée à manger deux carottes et également quelques tranches de tomates, malgré un dégoût profond envers cette pitance végétarienne et l'image d'un immense steak saignant et fumant dansant devant mes yeux me faisant presque baver, je m'étais étalé sur mon lit tel un morse s'écroulant sur sa banquise. Je fixais mon plafond en silence en essayant de ne pas trop penser à ce qui m'arrivait. Je levai mon bras anciennement blessé et fixai la peau blanche sans aucune marque ou cicatrice d'aucune sorte. Je constatai que l'horreur qui m'avait saisi quand j'avais compris ce qui m'arrivait avait disparu. J'imagine que ça devait être comme lorsque l'on attrape une maladie hyper grave et surtout incurable genre cancer ou sida et que l'on sait que l'on va mourir. Au bout d'un moment on finit par comprendre qu'on ne peut rien faire contre et on accepte son destin. Moi, c'était pareil sauf que j'étais pas malade. J'avais juste muté. Aussi simple que ça.

Je soupirai et laissai mollement retomber mon bras. Mon ventre gargouilla doucement et je sentis que je produisais beaucoup trop de salive. J'avais faim. Horriblement faim. J'aurai pu avaler un steak entier ou bien...

Ou bien un sanglier.

Oui voilà, un gros sanglier mâle et adulte. À la chaire assez tendre pour être mâchée facilement mais suffisamment ferme pour que je la sente bien s'écraser sous la pression de mes dents. Gros et musclé, avec un maximum de chaire chaude, rouge et saignante sous sa fourrure drue et sale. Je me voyais déjà arracher un énorme morceau de cuisse et l'avaler d'un seul coup et me délectant de sa saveur sauvage et brute. La viande pourtant crue aurait été chaude et pleine de senteurs délicieuses, rien à voir avec les steak mous et pourpre, glacé et sans goût que l'on trouve au rayon boucherie de n'importe quel supermarché. Beurk.

Je secouais vivement la tête quand me vint l'idée que je pourrai aussi briser les os de la bête pour engloutir sa moelle rouge et coulante. Pas parce que mes fantasmes carnassiers me dégoûtaient mais parce que la tentation de sortir pour les réaliser devenait de plus en plus grande à mesure que mon appétit grandissait. Mon cœur battait plus vite et je transpirai. Je pouvais presque sentir les carottes et les lamelles de tomates que j'avais ingéré se déplacer dans mon estomac alors que celui se contractait. Comme si mon corps refusait d'absorber cette bouffe d'herbivore. Tout mon organisme me réclamait une viande que je n'étais pas en mesure de lui offrir.

Je me retournais dans mon lit en essayant d'ignorer ma faim et de refouler la nausée que je sentais remonter dans ma gorge. La première chose réussit. La deuxième beaucoup moins.

Je courus comme une dératée jusqu'aux toilettes quand une énième contraction de mon estomac, plus puissante que les précédentes fit remonter tout mon repas dans ma gorge puis ma bouche. Je vomis un liquide immonde orange et gluant avec de-ci de-là quelques grains de tomates dans la cuvette autrefois blanche. Encore secouée de spasmes je m'écroulais sur le carrelage froid de la salle de bains avec un goût amer dans la bouche. J'avais envie de pleurer mais d'un certain côté, je voulais être forte et surmonter ça avec dignité. Je ne m'étais jamais laissée aller au désespoir quand je m'occupais de ma mère, c'était pas maintenant que j'allai commencer.

Je me redressai en m'appuyant sur le lavabo et me rinçai la bouche pour chasser ce goût infect de la bile et pour décoincer les bouts de légumes prédigérés coincer entre mes dents. Une fois fait, je constatai que j'avais toujours aussi faim. Encore plus qu'avant même. Et cette faim s'accompagnait d'une petite voix affamée au coin de mon esprit qui m'ordonnait, me suppliait même, d'aller chasser dehors de quoi me nourrir. Mais chasser quoi ? Et comment ? Je ne me posai même plus la question de savoir que les humains chassent au supermarché et plus dans la forêt et cela depuis belle lurette (j'avais beaucoup trop faim pour penser à ce genre de futilité), mais plutôt de savoir comment j'allai m'y prendre. Je ne savais pas chasser et même si chaque fois que je fermai les yeux je me voyais dépecer une proie qui variait à chaque fois (un cerf, un lapin, un chevreuil, ou bien même un poisson), je ne savais pas comment faire pour traquer un animal, lui courir après sur peut-être quelques kilomètres et surtout comment l'achever. Je n'étais qu'une pauvre humaine qui n'avait jamais été très doué en sport sauf en boxe. De toute ma vie je n'avais jamais eu autant envie de fondre en larmes. Et en plus j'avais super froid, le carrelage du sol était gelé et de multiples spasmes secouaient encore mon corps. Pour finir mes nerfs craquèrent et je poussai un hurlement presque animal qui résonna un petit moment dans ma salle de bains. Je me fichais bien que l'on puisse m'entendre ou que l'on appelle la police. Je voulais juste laisser libre court à ma frustration, à ma colère et à ma peur. Hurler me fit du bien, mais n'apaisa pas ma faim et la voix qui résonnait dans ma tête pour titiller mon envie me rendait presque folle. J'avais mal à la tête, mal au ventre et ma gorge me brulait. Je respirai en haletant et mes jambes tremblaient, à deux doigts de se dérober sous mon poids.

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