Entraînement

105 6 7
                                    

Lorsqu'Edwin m'avait abandonné aux mains de ce sadique en fauteuil roulant et cela sans se retourner une seule fois, j'avais mis quelques minutes pour prendre la pleine mesure de ce que j'allais prendre dans la gueule (pour le dire vulgairement) d'ici les prochains jours. Le regard de Jakob était plus glaçant que la banquise (ou du moins ce qu'il en restait avec toutes ses histoires de réchauffement climatique). Même ma louve intérieure, d'habitude si intrépide et fière, ne demandait qu'à ramper à ses pieds pour qu'il daigne nous accorder encore quelques secondes à vivre sur cette Terre.

Il avait beau être assis sur un fauteuil roulant, je n'avais jamais croisé un type aussi intimidant. Même Edwin ne m'impressionnait pas autant. Et c'était vraiment mon arrière-arrière-arrière-grand-père qui avait mis sa dérouillée à ce gars ? On était vraiment sûre d'être de la même famille ? Parce que je me sentais clairement pas capable de renouveler l'exploit. 

Puis j'eus comme un éclair de génie ; est-ce que confier mon entraînement à la survie à un type qui avait de bonne raison d'en vouloir à ma famille (et donc par extension, à moi) était une idée que l'on pouvait qualifier d'intelligente ? J'étais de moins en moins sûre de sortir vivante de cette forêt, si jamais j'en ressortais un jour. Et sûrement pas en un seul morceau. J'hésitai à partir en courant pour essayer de sauver ma peau, mais je doutais sérieusement d'y parvenir. Jakob m'avait l'air désagréablement réactif et surtout dangereusement attentif. J'étais persuadée qu'il avait déjà deviné depuis le début mon pseudo projet de fuite, et qu'il se marrait déjà à l'idée de me le faire amèrement regretter.

Ça faisait maintenant facilement trois minutes qu'on se fixait dans le blanc des yeux en attendant que l'un de nous deux se décide à ouvrir la bouche. Et il était absolument hors de question que se soit moi, je serrai donc les dents pour être sûre de ne rien laisser échapper, qui lui rappellerait ce pourquoi on était là.

- Bien...par quoi devrions-nous commencer ?

Eh merde...

- Je ne sais pas...

- Ça tombe bien, je ne te demandais pas ton avis.

Ma bouche s'assécha en voyant son regard et son sourire devenir de plus en plus carnassiers jusqu'à être franchement terrifiant. J'étais sûre qu'il était du genre à dévorer des chatons vivants au petit-déjeuner. J'essayai de trouver quelque chose de comique dans l'image d'un gros loup dévorant des des bébés chats - ou des bébés lapins, ça marche aussi - mais je n'arrivais qu'à me terrifier moi-même. Pas très productif. Par le passé, j'avais eu des profs de sport sadiques (d'ailleurs je pense que c'est une qualité requise pour faire partie de ce corps enseignant très particulier, fondé exclusivement pour traumatiser les ados de n'importe quelle activité sportive) mais là...aucun entraînement n'aurait jamais pu me préparer à ce qui n'allait pas tarder à suivre. Alors que j'imaginais déjà les pires scénarios possibles ainsi que la liste de mes dernières volontés et la sorte de fleurs que je voulais sur ma tombe, la voix de Jakob brisa le silence, coupant net à toutes mes spéculations pré-mortem :

- On va commencer par aller prendre un café.

Et il fit pivoter les roues de son fauteuil pour se diriger vers la maison avec un léger grincement de roues.

- Un...un café  ?

- Oui. Ou une tasse de thé si tu préfères.

- Mais...pourquoi ?

- Parce que j'ai soif, dit-il comme si ça coulait de source sans même daigner se retourner. Et toi aussi, après l'effort que tu as fourni.

Il était vrai que ma gorge était sèche et irritée et que ma langue me semblait faite de vieux parchemins mais dans mon esprit Jakob et tasse de thé ne pouvait tout simplement pas coexister pacifiquement dans une même phrase. Pas avec l'impression que j'avais de lui après la formidable démonstration de puissance qu'il m'avait faite. C'est peut-être parce que j'étais trop occupée à débattre là-dessus que je le suivie sans faire d'histoire et en silence, jusqu'à sa petite cabane en rondins. La poignée en cuivre oxydé était très basse mais comme le propriétaire était en fauteuil roulant, il n'y avait sans doute rien de plus logique. Ce qui n'était pas logique en revanche c'était la couleur de la porte.

Vous avez atteint le dernier des chapitres publiés.

⏰ Dernière mise à jour : Aug 10, 2019 ⏰

Ajoutez cette histoire à votre Bibliothèque pour être informé des nouveaux chapitres !

TransformationOù les histoires vivent. Découvrez maintenant