Chapitre 1 ©

319 19 19
                                    

Sortant de ma vielle voiture, mon sac à la main, je me dirige vers la maison à la peinture écaillée et à l'allure fantomatique. Je baille, épuisée par ma journée de travail au « Spin & Fly Night Club ». Mes muscles sont encore bandés par l'effort quand je grimpe les deux petites marches menant à la porte. Lorsque j'ouvre celle-ci, l'odeur de renfermé vient me claquer le visage.


– Je suis rentrée papa ! annoncé-je en criant depuis le petit couloir.

– Viens ici !


Je retire mes chaussures et suspends ma veste au porte-manteau avant de le rejoindre dans le salon, levant les pieds pour ne pas trébucher sur un des nombreux habits qui traînent à même le sol. Comme à son habitude, mon cher paternel est affalé sur le canapé, un paquet de chips en suspension sur la montagne que forme son ventre et une bière à la main, les yeux fixés sur le petit écran de télévision.


– On est le dernier vendredi du mois, me dit-il sans même m'accorder un regard.

– Je sais.

– L'argent.


Une boule coincée dans la gorge, je sors de mon sac l'enveloppe que ma remise mon patron et en sors les billets verts. Je les lui tends, il me les arrache des mains et calcule la somme avant de froncer les sourcils. Cela n'annonce rien de bon. Il relève la tête vers moi, me fusillant du regard.


– Tu m'as dit que tu toucherais cinq-cents dollars ce mois-ci !

– Oui, c'est ce que j'ai touché. Pourquoi ?

– Il n'y a que deux-cent-cinquante, s'énerve-t-il.

– Papa...

– Donne-moi le reste, j'en ai besoin.

– Pour quoi ? Encore de l'alcool ?


Il se lève subitement, m'agrippe la gorge de ses doigts potelés et graisseux et me fait reculer de plusieurs pas.


– Ne m'énerve pas. Donne-moi le reste.


Je lui fourre l'enveloppe entre les mains, ne voulant pas le provoquer davantage. Son haleine empeste l'alcool, encore une fois. Je ne me souviens pas d'un seul jour où il était sobre quand je suis rentrée du travail.

Satisfait de m'avoir fait céder une nouvelle fois, et avec beaucoup de facilité, il finit par lâcher prise, me laissant respirer et m'éloigner de lui.


– Dégage maintenant.


Le cœur au bord des lèvres, je rejoins ma chambre en me massant légèrement la gorge. Je déteste quand il me touche. Je ne supporte pas son regard sur moi.

Et pourtant je l'aime. C'est plus fort que moi. Il reste mon père malgré toutes les horreurs qu'il m'a fait subir et qu'il continue de m'infliger.

Une fois réfugiée dans ma chambre et la porte fermée à double tour, je prends une grande inspiration.

Il ne peut pas me faire de mal ici. Je suis en sécurité. Il ne peut pas rentrer.


Calme et rassurée, je m'avance vers ma commode et en sors un jogging et un t-shirt large. Je me change rapidement avant de m'installer sur mon lit. Faisant glisser mon ordinateur sur mes genoux, je l'allume, désireuse de me changer les idées avec une série quelconque. Je n'ai pas faim et je suis certaine de ne pas réussir à trouver le sommeil avant un long moment malgré l'heure tardive.

Sur la table de chevet, mon téléphone vibre en continu, m'indiquant un appel entrant. Je grogne avant de l'attraper, mais finis par sourire en voyant le nom de ma meilleure amie et collègue de travail s'afficher à l'écran.


– Salut Jésabel !

– Kat ! J'ai cru que tu n'allais pas répondre !

– Tu vas bien ? Pourquoi est-ce que tu m'appelles aussi tard ?

– Est-ce que le boss t'a donné ta paye ?

– Ouais, cinq-cents dollars. Je n'ai pas travaillé beaucoup ce mois-ci, mais je compte bien me rattraper. Pourquoi est-ce que tu me poses cette question ?

– Rassure-moi, tu..

– Il m'a obligé à tout lui donner, je la coupe, sachant exactement ce qu'elle allait me demander.

– Putain Kat !


Je l'entends soupirer à l'autre bout du fil. Jésabel est bien placée pour savoir que je ne peux pas tenir tête à mon père dans ce genre de situation. Je travaille pour tout lui donner, et cela depuis des années.


– Je n'y peux rien Jésabel. Il avait encore bu, je ne pouvais pas me défiler.

– Il faut que cette situation prenne fin. Viens à la maison ! On a une chambre d'ami.

– Je ne veux pas te déranger, tu viens de t'installer avec Joshua, vous avez besoin d'intimité. Je t'assure que la situation pourrait être plus catastrophique.

– Écoute, même Joshua m'a confié qu'il avait du mal à te savoir avec ton père. Tu peux venir à la maison, ne serait-ce que quelques jours ! Cela nous rassurait vraiment Katniss... Et ne nous dérangerait pas du tout, au contraire. On s'inquiète vraiment.


Je ferme les yeux. Ma tête me fait horriblement mal et je n'ai vraiment pas envie de me battre avec Jésabel ce soir.


– Ok.

– Quoi ?

– J'ai dit « ok » ! Je vais venir. Maintenant, j'aimerais pouvoir me reposer. Je travaille demain, non-stop.

– Tu n'as pas oublié ?


Je fronce les sourcils. De quoi elle parle encore ?


– Visiblement si.

– On ne travaille pas demain Kat.

– J'ai vérifié avant de partir, on doit arriver à huit heures au matin pour ranger et nettoyer avant l'ouverture.

– Non, parce que toi et moi avons signé pour une danse chez un particulier. Nous serons six filles, de vingt heures à quatre heures du matin le lendemain.

– Quoi ? Quand est-ce que j'ai signé ? Je ne me rappelle pas du tout.

– Cela fait quelques mois, le type s'est pris vraiment à l'avance pour être certain qu'assez de danseuses soient disponibles le Jour-J.

– Putain non ! Je déteste ça !

– Je sais, mais on va être payé en conséquence et je me rappelle que c'est pour cela que tu as accepté ! Le mec nous donne une sacrée petite somme et tu en as besoin Kat. Et cette fois, hors de question que tu donnes tout à ce gros dégueulasse affalé dans le canapé de ton salon !

– Ouais, promis.

– Bien. Je passerai te prendre à dix-neuf heures demain. Passe une bonne nuit.

– Toi aussi. Bisous.


Elle raccroche.

Je dépose mon téléphone sur ma petite table de chevet avant d'éteindre la lumière. Les yeux rivés sur l'écran de mon ordinateur dont la luminosité me permet de voir toute ma chambre, je ne me souviens pas m'endormir.

Leaps, lift and levitation [En pause d'une durée indéterminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant