Chapitre 23 ©

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Derrière la scène, assisse à même le sol, je finis mes étirements tout en observant discrètement ce qu'il se passe autour de moi. La salle est une nouvelle fois pleine à craquer. Les serveuses courent et slaloment entre les tables pour répondre à la demande de chaque client pendant que Joël jonglent entre les différentes bouteilles pour préparer les verres. La tension est palpable. Aucun d'entre nous ne prononce un mot. Nous sommes tous à deux doigts de nous écrouler sous le poids de la fatigue.

Je me relève et jette un coup d'œil à ma cheville, cachée sous une longue chaussette noire en faux cuir. J'espère seulement qu'elle se fera oublier pendant que je danse. Ce n'est pas le moment de craquer. Je dois tenir jusqu'au retour de Grégory.


– Tu es prête Katniss ? C'est à toi de monter sur scène.


Fermant les yeux, je prends une grande inspiration. C'est toujours angoissant de se placer sous les projecteurs et de sentir tous ses regards rivés sur soi. Malgré mon expérience, je ressens toujours ce petit stress juste avant une performance. On ne sait jamais ce qu'il peut se passer une fois sur scène. Il suffit d'un raté pour que tout l'enchaînement soit perturbé. D'un faux mouvement pour qu'un muscle se retrouve tuméfié.

Prenons exemple avec ta cheville : c'est exactement le genre d'accident que tu dois éviter.


– Je suis prête Julien. Et surtout...

– Ne lance pas la musique trop tôt, attends mon signal. Je le sais Katniss, cela fait trois ans que je travaille avec toi. Aller, va sur scène et éblouie nous !


Je lui souris avant de m'avancer. Plongée dans le noir, je m'installe devant ma barre. J'attends quelques secondes avant de faire signe à Julien qu'il peut envoyer la musique. Les lumières s'allument.

Sans plus attendre, les premiers accords de la chanson retentissent. Je me mets en mouvement, dos au public, les yeux fermés. Qu'est-ce que j'aime la sensation de chaleur que les spots procurent sur mon corps ! C'est enivrant. C'est plus qu'une drogue pour moi.

Le plus dur, ce sont les réceptions sur ma cheville droite. La douleur se réveille et me fait grimacer. Elle me détourne de mes pensées et me fait perdre de la force.

Alors je fais une chose que je n'avais jamais faite. J'improvise.

Elle a officiellement perdu la tête.


À deux minutes et quelques secondes de ma chorégraphie, je me mets à improviser, changeant de barre. Je limite les figures demandant d'avoir les pieds sur le sol et puise dans la force de mes bras pour rester dans les airs.

Mes pensées s'envolent à nouveau, ne laissant place qu'à la danse. Ma peau se couvre de chair de poule alors que je ferme les yeux pour être concentrée à deux cents pour cent sur mon art. Plus de douleur inconvenante. Les muscles bandés à l'extrême, le corps gaîné pour une parfaite maîtrise. Les regards sont rivés vers moi. Je sens toutes ses iris qui scrutent chacun de mes mouvements. Quelques applaudissements se font entendre à la fin d'une figure complexe, mais je reste concentrée. J'en oublierais presque le drôle de comportement de mon ami quand il est monté à mon appartement. J'en oublierais presque la situation inquiétante dans laquelle nous a laissé mon patron. C'est mon moment et j'en profite à mille pour cent.

La musique prend fin. Trop rapidement à mon goût. Les pieds au sol, je n'ai pas le temps de prendre une inspiration que trois filles viennent prendre ma place. Elles s'installent et m'obligent à rapidement quitter la scène pour ne pas gêner leur prestation.

Leaps, lift and levitation [En pause d'une durée indéterminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant