Chapitre 6

731 95 49
                                    

J'attends quelques instants devant la porte blanc cassé et sonne de nouveau avant de me pencher sur le côté pour tenter de voir à travers des carreaux d'un verre très épais s'il y a quelqu'un. Peut-être est-elle allée faire son jogging. Je suis une habituée des visites à l'improviste, l'ennui c'est que ma tante, si elle est casanière, n'est pas non plus toujours chez elle. Je me colle un peu plus contre la porte, sous le parapet qui protège le perron, afin d'échapper à la pluie qui se fait de plus en plus violente. Les parterres de glaïeuls devant la maison sont maltraités par le vent qui se lève et de l'un d'eux s'échappe un pétale qui vint s'échouer à mes pieds. De même, le grand noyer que ma tante a planté dans son jardin il y a des années semble se laisser dominer par les bourrasques et ses branches me font penser aux bras d'un vulgaire pantin désarticulé. Merde, si elle n'est pas là je vais devoir rentrer, et sous cette pluie battante, ça ne me tente pas vraiment.

Je tends l'oreille lorsque je crois entendre des pas précipités à l'intérieur.

« J'arrive ! »

Ah, ça c'est tata Irène ! Elle est toujours pressée, à courir partout, même quand ça n'est pas nécessaire. J'entends les tintements métalliques de son trousseau de clés (formé d'une bonne demi-douzaine de porte-clés qu'Aly et moi lui avons offerts ces dernières années) puis elle enfonce l'une d'elles dans la serrure et ouvre enfin.

Elle porte un haut de sport bien trop large pour elle ainsi qu'un legging noir, tenue que je reconnais bien : elle est en pyjama. Ses cheveux sont encore trempés et bien qu'elle n'ait pas pour habitude de se maquiller beaucoup, elle ne porte pas même de mascara.

« Ah, je t'ai dérangé pendant que tu prenais ta douche ? demandé-je un peu gênée.

- J'en sortais quand tu es arrivée, t'inquiète. Mais dis-moi, on croirait que toi aussi tu viens d'en prendre une, t'es trempée ma belle. Entre, tu sais que tu es chez toi ici. Tu veux que je te fasse couler un bain ?

- Non merci, je n'ai reçu que quelques gouttes ça va vite sécher.

- Comme tu veux. Alors, tu as quelque chose à me dire ou tu es juste venu voir ta tante adorée ?

- Les deux. »

Nous échangeons un regard complice tandis que je m'installe sur le canapé du salon. J'ai toujours adoré venir chez ma tante, bien que ce soit le plus souvent elle qui venait chez nous lorsqu'elle devait nous garder. La décoration intérieure est moderne sans être froide, mêlant blanc, noir et bleu pâle. C'est sans prétention, coquet et on s'y sent toujours chez soi. Mes yeux s'attardent sur sa guitare. Mon père a refusé que je touche à la sienne jusqu'à mes dix-sept ans, quand j'ai promis qu'un jour, j'essaierais d'apprendre à en jouer. C'était ma tante qui me prêtait la sienne avant. Combien de fois ai-je gratté ces cordes sans savoir ce que je faisais, simplement parce que j'aimais le son que ça produisait. Et ma tante qui me laissait faire, sans essayer de m'apprendre, parce qu'elle voyait que ce que je voulais, c'était uniquement passer avec curiosité mes doigts dessus. Cette guitare, elle symbolise à mes yeux les plus beaux moments que j'ai pu passer avec tata Irène, assise dans ce salon à essayer de l'imiter sans avoir le courage d'apprendre comme elle l'avait fait. J'étais jeune, je ne voulais pas prendre de cours de musique ; ça n'a pas vraiment changé puisque c'est sur internet que j'ai appris. C'est tout ça qui en fait mon instrument favori. Cet instrument tout simple, noir avec un motif de fleur bleu turquoise, m'a toujours fasciné, il est toute mon enfance.

Mes yeux se baladent ensuite sur les quelques cadres disséminés çà et là : il n'y a que des photos d'elle en compagnie d'Aly et moi. Sur une seule image elle se trouve en compagnie de son petit frère, mon père, et sa belle-sœur, ma mère, mais ils semblent beaucoup plus jeunes, la photo remonte peut-être à vingt ans, juste avant que je ne naisse.

SongwriterOù les histoires vivent. Découvrez maintenant