8 ANS

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DANS SON JARDIN, Rory sanglotait bruyamment, indifférent à Samuel qui l'observait des branches de son arbre, à feuilleter son livre fétiche. Feuilleter uniquement, car ses yeux convergeaient immanquablement vers Rory et ses épaules voûtées, son nez encombré et ses larmes intarissables. Sa chevelure cuivrée capturait les rayons ensoleillés pour flamboyer comme les flammes d'un brasier. Samuel rechignait à aller le consoler. Ses propres larmes n'étaient jamais très loin, ses yeux jamais très secs et son cœur meurtri rarement pansé.

Comment était-il supposé aider ce pleurnichard alors que lui-même en était un ? Samuel se rembrunit. Pleurnichard. C'était le mot qu'utilisait son père lorsque ses paupières gonflées ne réussissaient plus à endiguer le torrent de larmes que réclamait désespérément son corps. Pourtant, en fixant Rory et son air déchiré, Samuel comprit qu'il ne le consolerait pas en répétant les paroles employées par son géniteur. Des paroles sèches, cinglantes. Acides. Indélébiles. Son voisin serrait les poings à s'en faire blanchir les phalanges, pleurait par à-coups, les joues irisées de larmes tortueuses. Malgré lui, Samuel sentit son cœur se tordre et sans le vouloir, ses lèvres remuèrent d'elles-mêmes.

— Hé, le Roi Rouge !

Une seconde, trois secondes. Dix secondes. L'estomac noué, Rory finit par lever la tête, ses prunelles d'un bleu si clair qu'elles en paraissaient blanches percutant le regard dur, sombre et amer de Samuel, qui descendait de son arbre avec l'agilité d'un chat et la discrétion d'une souris. En voyant le visage de Rory s'éclairer, il eut envie de faire demi-tour. Trois ans de blagues douteuses, de rires forcés, de sourires las, de rejet, et sa satané frimousse continuait de resplendir en l'apercevant. Non mais sérieusement, pourquoi ne baissait-il tout simplement pas les bras ?

— Un Roi, ça ne pleure pas, asséna fermement Samuel quand il fut assez proche de Rory.

Les lèvres du garçonnet tremblèrent et ses sanglots redoublèrent d'intensité.

— Holly... Holly est morte, balbutia-t-il en désignant un carré de terre fraîchement retournée, le nez cramoisi.

Samuel se rembrunit légèrement. Holly, son chat. Il traînait toujours dans leurs pattes, que ce soit dans son jardin ou le sien, toujours à grimper dans un arbre et à à les surprendre de ses miaulements rauques et craintifs. Rory adorait ce chat, qui gambadait à ses côtés depuis qu'il était né. Samuel lui balançait des gravillons lorsqu'il s'éloignait trop sur la chaussée, le forçant ainsi à entamer un demi-tour précipité pour se réfugier dans les bras de son voisin. Comme ça, Rory ne s'inquiétait jamais d'une absence prolongée. Samuel veillait là-dessus.

— Oui, bah maintenant je m'auto-proclame fou du Roi et je t'interdis de pleurer, ronchonna-t-il en baissant le regard. T'es moche quand tu pleures. Et puis, ce chat, c'était un garçon. Son prénom ne lui allait pas du tout.

Rory le dévisagea un moment, puis l'ombre d'un sourire vint étirer ses lèvres mouillées.

— Le fou du Roi, il peut lui tenir la main quand il est triste ? demanda-t-il avec toute la candeur qui le caractérisait, hésitant.

Samuel réfléchit une seconde – s'attardant sur les grands yeux rêveurs qui le suppliaient d'un quelconque réconfort – puis soupira d'un air faussement contrarié.

— Seulement si le Roi ne pleure pas, décida-t-il en lui tendant le bras.

Rory s'appliqua à effacer les sillons humides qui dévalaient ses joues, renifla un grand coup puis adressa à Samuel son plus resplendissant sourire. En quelques secondes, leurs mains se cherchèrent et leurs doigts s'entremêlèrent maladroitement. Ils observèrent la tombe d'Holly sans plus prononcer un mot et Samuel se renfrogna davantage.

Finalement, cet idiot de chat allait lui manquer.

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