ILS AVAIENT DÉCIDÉ DE rentrer aussitôt après les vomissements de Rory, sur le perron d'Arty. Ils n'étaient pas partis après leur baiser, savourant la brise chaude qui glissait sur leur peau comme le revers d'une couette, à fumer des cigarettes et à se partager quelques bière tièdes. Puis, ils avaient – à contrecœur – cédé à Arthur, qui s'était entêté à vouloir jouer à un jeu stupide. Résultats : leur hôte s'était endormi torse nu sur le canapé et Rory avait vomi dans le jardin. Sans compter les moments gênants et l'emportement de Samuel à l'égard d'une abrutie condescendante. En bref, ils étaient éreintés et s'étaient éclipsés en titubant sur le trottoir encore humide.
Rory était pâle comme un linge et ne cessait de quémander de l'eau, que Samuel portait jusqu'à ses lèvres d'une paire de mains hésitantes : Cassiopée, la sœur d'Arty, lui avait procuré une bouteille pleine, du thé chaud dans un thermos et son numéro de téléphone en cas de problème. Ainsi, ils étaient rentrés sereins. Samuel regrettait de ne pas avoir régulé la consommation d'alcool de Rory. Ils s'étaient un peu emballés, ce soir. En arrivant près de l'arbre de Samuel, Rory se sentait mieux. Il n'était pas tard, il était tôt. L'aube avait commencé à draper l'horizon de ses couleurs chaudes et à chasser l'humidité des feuilles. Légèrement ivre, Samuel affichait un air bougon.
— Il faut que je rentre, avait-il déclaré, de longues secondes plus tard.
Rory avait étouffé un bâillement contre son poing serré.
— Je vais dormir comme un bébé.
Et Samuel lui avait souri. Un sourire immense, qui creusait dans ses joues une paire de larges fossettes. Désarmant. Un sourire que Rory attendait depuis déjà de longues années. Et, à l'instant où leurs deux corps s'étaient enlacés pour une ultime étreinte, un éclat de voix retentissant avait interrompu le fil de leurs pensées débridées.
— Où étais-tu passé, Samy ?
Rory et Samuel s'étaient détachés l'un de l'autre d'un bond terrorisé. Depuis le seuil de sa porte, Gareth les observait d'un air impossible. Une cigarette se consumait entre son majeur et son index. L'espace d'un instant, Samuel s'était raidi tandis que Rory s'était efforcé de réprimer une nouvelle nausée. Puis, son voisin avait recouvré l'attitude sombre et nonchalante qui le caractérisait tant.
— J'étais à la pêche. C'est la saison, tu sais.
Gareth n'avait pas bougé, ni tressailli. Il s'était contenté d'accorder à son fils l'ombre d'un sourire pervers, avant de balancer le mégot de sa cigarette en direction de Rory.
— Tu n'as pas le droit d'être ici.
Rory avait pris les devants, n'ayant pas la patience d'attendre une énième réplique cynique de sa part. Samuel craignait que l'alcool ne parle pour lui.
— Samuel dort chez moi ce soir.
Gareth lui avait aussitôt accordé toute son attention, la bouche tordue en un rictus mauvais.
— Je suis son père, Rory. Il n'était pas autorisé à sortir. Je veux que tu cesses de t'en prendre à mon fils.
À cette phrase, le Roi Rouge avait abandonné toute candeur et gentillesse pour laisser à la hargne et la colère la tranquillité de noyer l'azur de son regard enragé. Toute la rancœur qu'il accumulait à l'égard de cet homme abject menaçait de le faire imploser.
— Je sais que t'as tué mon chat, pauvre con ! Et je sais tout du traitement que t'infliges à Samuel. Qu'est-ce que tu vas faire, cette fois-ci, hein ? Parce que toi et moi, on sait que tu vas pas le punir en le privant de télévision !
Samuel lui avait saisi l'avant-bras d'une manière si abrupte qu'il en avait eu mal. Ce n'était pas leur premier échange virulent. Mais il devait cesser. Pour son bien, comme pour le sien.
— Arrête, l'Roi Rouge, tu risques d'aggraver les choses. Je m'en occupe, d'accord ?
Rory et Gareth s'étaient toisés d'un air à en faire frémir les plus courageux avant de consentir à détourner le regard. Le Roi Rouge fulminait. Soulagé, Samuel lui avait effleuré la main d'un pouce glacé.
— Ça va aller, je t'assure, avait-il insisté, mais son parfum alcoolisé et sa lèvre tremblante ne pouvaient tromper personne. On a tous les deux connus pire, n'est-ce pas ?
Alors, naïvement, Rory était rentré chez lui, songeant plus à leurs baisers qu'aux risques encourus par leur expédition nocturne. Jusqu'à ce que, deux jours plus tard, Samuel soit hospitalisé.
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RED KING
Short StoryAlors qu'ils sont âgés de cinq ans, Rory et Samuel se retrouvent à emménager l'un en face de l'autre, seulement séparés par un bandeau de bitume crevassé. Tous les jours, Rory sourit à Samuel. Et tous les jours, Samuel ne lui rend qu'un rictus amer...