16 ANS (2)

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ILS S'ÉTAIENT embrassés. Le Roi et son Fou, l'esprit suffisamment embrumé pour puiser le courage que nécessitait un tel geste, s'étaient embrassés. Le premier véritable baiser – Adèle, en CP, ne comptait pas – de Rory, qui ne cessait d'y songer depuis la veille. Après leur altercation concernant Gareth, ils s'étaient décidés à participer à la soirée organisée par Arthur, un ami du Roi Rouge. Leur plan initial, donc.

Pendant le trajet, l'ambiance avait été étrange. Comme s'ils se rencontraient pour la première fois : paroles maladroites, moments de silence étouffants, rires étranglés. Les mots prononcés par Samuel continuaient de flotter dans les airs, d'empoisonner leurs pensées de mièvreries et d'interrogations, sans qu'aucun des deux n'osent aborder le sujet plus en profondeur.

Samuel était naze lorsqu'il s'agissait d'exprimer ses sentiments et Rory était un looser quand il était question de Samuel. Ç'avait plus ou moins toujours été comme ça : l'un, qui n'autorisait l'exposition de ses émotions qu'à travers le reflet de ses yeux verts et l'autre, qui à défaut d'être doué avec les mots, l'était pour arracher quelques sourires Samuel. Selon Rory, cela devrait être une discipline olympique, à inscrire entre le curling et le biathlon.

En arrivant chez Arthur – ou Arty, comme on aimait l'appeler –, les deux adolescents s'étaient calés sur un canapé, près d'un couple déjà bien éméché. Il fallait dire qu'ils n'étaient pas arrivés tôt et que les festivités avaient commencé sans eux, pour leur plus grand bonheur. On ne faisait pas spécialement attention aux deux mecs paumés et silencieux qui sirotaient timidement un verre d'alcool, à lorgner les gens d'un air hagard. Entre deux, puis trois, puis quatre longues rasades de vodka, ils avaient eu les temps de réfléchir – jusqu'à ce que l'alcool estompe suffisamment leur gêne pour qu'ils puissent rire et discuter normalement.

Alors, ils étaient sortis – non sans avoir subtilisé quelques bières et un paquet de choco-prince – et s'étaient laissés choir dans l'herbe humide en gloussant sous un ciel désormais dégagé. Il faisait chaud, ou alors n'était-ce là que l'effet provoquée par l'alcool ingurgité au fil des heures, et ils s'étaient bêtement roulés dans l'herbe dans l'espoir de rafraîchir leur peau brûlante d'une envie qu'ils refoulaient de plus en plus difficilement. Samuel souriait à s'en déchirer les zygomatiques et Rory se délectait de ses éclats de rire, qui déchiraient le silence paisible de la nuit comme ils apaisaient son cœur.

Et, étonnement, il avait fait le premier pas. Alors que Samuel finissait un biscuit d'une bouchée, assis en tailleur à dodeliner de la tête, Rory s'était penché pour déposer un baiser chaste sur ses lèvres, avant de reculer comme s'il s'était brûlé. Il pensait avoir franchi les limites de ce que Samuel pourrait dévoiler ce soir, et comprit s'être trompé lorsque son ami le rejoignit pour sceller leurs lèvres d'une poigne ferme sur la nuque. Ç'avait été bref, intense, d'une douce brusquerie, si prenant qu'ils en avaient oublié Arty, la soirée, Gareth et les ténèbres qui noircissaient leurs pensées pour ne plus que se focaliser sur le goût de leurs lèvres qui s'enlaçaient.

Leur histoire ressemblait à un conte. Un conte découlant d'un cauchemar nommé Gareth. Un conte qui, plus tard ce soir-là, faillit voler en éclats.

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