Le recrutement

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Je tiens le début de cette histoire des caméras de surveillance et des nombreux témoignages que j'ai réunis après l'incident. Voilà, me semble-t-il, ce qui se rapproche le plus du conte originel.

C'était plus une salle de réunion qu'un bureau, repoussoir pour quiconque aurait tenté d'y travailler.

Sur la grande table ovale, trônait fièrement un appareil de visioconférence. Autour, douze chaises, pas confortables pour un sou, étaient réparties régulièrement. Sur les murs, des tableaux abstraits interdisaient de se sentir bien dans le lieu. Pas de baies vitrées géantes, pas même de fenêtres pour éclairer l'endroit d'une lumière naturelle. Des spots faisaient le boulot. Mal, mais la pièce n'était pas dans l'obscurité.

Dans un coin, sur une table d'angle étaient posés la machine à café et les croissants. Un ordinateur avait été installé. Pas de connexion internet, pas de micro... Le strict nécessaire pour un test de recrutement.

Sur la chaise devant l'écran, un jeune homme assis sur le bas du dos, d'aucuns auraient pu dire avachi, tapotait sur le clavier. Derrière lui se tenait un grand bonhomme mince, chauve, tiré à quatre épingles, suspicieux.

Les doigts de François, jeune développeur talentueux, virevoltaient sur les touches. Un raccourci clavier par ici, un copié/collé par là.

Il passait d'un logiciel à l'autre avec une telle rapidité que les fenêtres s'ouvraient et se fermaient avant que le recruteur, un certain Torsten Westam, qui tentait de suivre la manœuvre, pût en déchiffrer le contenu.

Ce dernier observait l'écran avec beaucoup d'intérêt, mais tout allait tellement vite qu'il clignait effectivement des yeux et bougeait la tête pour tenter de capter des mots, de comprendre ce qu'il se passait. Il n'aimait pas ne pas savoir ce qui se passait.

Un programme naissait devant lui, parti d'un écran totalement vierge.

— Pouvez-vous me rappeler le résultat attendu s'il vous plaît ? demanda le codeur enthousiaste.

— Si vous écoutiez au lieu de jouer avec votre téléphone. Vous manquez de concentration peut-être ? répondit Westman ironique. Comme je vous le disais, nous souhaitons que votre programme donne l'heure si on lui demande et ce, quelle que soit la formule textuelle qui sera employée. Il devra également répondre avec une touche d'humanité.

Après quelques secondes sans réponse, le recruteur se pencha vers le développeur :

— Tout va bien ? Vous avez compris l'idée ?

— Oui oui, c'est justement pour le côté humain que je voulais ajuster une des boucles que je viens d'écrire.

En voyant du coin de l'œil l'air absent de son potentiel futur chef, le jeune François expliqua :

— Eh bien cela fonctionne sur le principe d'une boucle, expliqua-t-il pédagogique. Tant qu'une certaine saisie à une question posée par le programme n'a pas été effectuée par l'opérateur, la machine repose sa question. Si c'est la saisie attendue par le programme qui est donnée, le programme sort de la boucle et l'action suivante est déclenchée. En l'occurrence, l'affichage de l'heure.

À l'écran, Torsten pouvait voir quelque chose comme :

tant que la_saisie_opérateur est_différente_de 'quelle heure est-il à ' + nomdeville

{

programme_affiche 'Que puis-je faire pour vous ?'

}

sinon programme_affiche 'Il est ' + heure

— Et cette saisie de départ est « Quelle heure est-il à » ?

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