Jérémy, le planificateur ambitieux

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— Encore en train de coder ?

— Oui et non ma souris, répondit Jérémy à sa femme Jennifer, qui revenait de la salle de sport. On est sur un problème au boulot et comme le wifi n'est pas réparé je dois faire mes recherches ici.

Jérémy ne pouvait pas lui dire que dans la société qu'il venait d'intégrer dans le domaine de la haute technologie, il n'avait même pas accès à une connexion internet par la seule décision de sa chef d'équipe qui les testait toujours. Il est à parier qu'elle n'aurait pas compris son travail ni les conditions dans lesquelles il l'exerçait.

— Aujourd'hui je n'ai pas envie de cuisiner, dit-elle. Et si nous allions dire bonjour à Antonio. Je rêve de ses sublimes « pasta » depuis quelques jours.

— Un resto ? pourquoi pas, répondit-il sans quitter l'écran des yeux. Laisse-moi deux minutes pour consulter les comptes.

Grâce à ses choix financiers, les actions en bourse de Jérémy Pendleton étaient florissantes. Heureusement d'ailleurs. Au chômage depuis de nombreuses semaines, les fins de mois auraient été plus délicates. Son ancien poste dans les algorithmes du big data lui avait permis d'emmener sa femme, Jennifer (née Stewart), visiter de nombreux pays, le plus souvent au Soleil. Singapour, Hong Kong et New York sont de hauts lieux touristiques dont les places boursières n'avaient pas manqué d'attirer Jérémy qui en profitait pour affiner ses compétences. Il liait l'utile à l'agréable.

Dans l'appartement du deuxième qu'ils habitaient en centre-ville, chaque chose était à sa place. Les objets aussi bien organisés que leur relation conjugale. Les tâches parfaitement réparties. À lui le ménage et l'administratif, à elle la cuisine et le stretching.

Tout était blanc et métal. Le blanc pour sa luminosité. Le métal pour son toucher lisse et froid.

— Tu vas encore rentrer tard ce soir, mon amour ? demanda-t-elle.

— Nous sommes dans une phase projet assez tendu. Il nous faut prouver les améliorations du projet chaque semaine et on est déjà jeudi. Mes deux hippies de collègues n'étant pas très rigoureux ni dans leurs missions, ni dans les délais, je risque de pas rentrer à l'heure. Je vais encore devoir tout faire moi-même au dernier moment.

Les amis ne se bousculaient pas devant sa porte. Il avait une fâcheuse tendance à les repousser de par son trait de caractère principal. Jérémy était ambitieux. Il se devait d'aller de l'avant et tant pis si au passage il égratignait une ou deux personnes. À la fin du projet, les lauriers devraient lui revenir, à lui et à personne d'autre. Il vivait sa vie comme un jeu de stratégie, sans émotions superflues.

Il ne considérait pas cela comme un défaut. La vie est une guerre. Chaque bataille perdue l'éloignait de ses objectifs, il s'en amusait souvent prenant ses convives à rebrousse-poil en leur parlant optimisation fiscale. Une activité politiquement incorrecte dans la conjoncture du moment. Les petits noms qu'ils donnaient à son entourage, laissaient planer un doute quant à la sincérité de leur relation. De fait, il agaçait à peu près tout le monde.

La période de chômage dans laquelle il s'était enlisé lui avait pesé sur le moral. Une annonce avait cependant attiré son attention.


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Avec une confiance sans failles dans ses compétences en big datas, il se présenta devant le recruteur comme data-scientist, un as des bases de données et du big data. L'homme qui l'avait reçu, tiré à quatre épingles, était descendu d'une voiture immense à son arrivée. Jérémy avait su tout de suite qui il faudrait convaincre pour gagner beaucoup d'argent.

Les méthodes parfois douteuses qu'il utilisa pour être l'heureux élu passèrent inaperçues, preuve qu'il avait toute sa place ici. Il avait menti sur son CV, embobiné le recruteur de l'agence d'intérim avec des compliments tous plus mielleux les uns que les autres, etc. Le chômage avait pris fin et ses collègues l'appréciaient déjà très moyennement.

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