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'Si seulement le croque-mitaine venait me tordre le cou...'
Quand on réalise que la mort habite dans tous ces rêves qu'on oublie au matin, qu'on ne peut plus chanter les paroles des chansons joyeuses parce qu'on n'y croit plus assez, et qu'on pleure en public, c'est que ça ne va plus du tout.

Le garçon était pourtant passé trois fois devant les deux petits groupes qui se forment chaque soir à la sortie de l'atelier théâtre. Personne ne l'a remarqué, pourtant, il sanglotait fort. Exprès, oui. Mais ses larmes n'étaient pas l'avocat de sa propre détresse, même si elle se devinait en fond.
Non, il pleurait pour son ami, J. Il était parti plus tôt (autorisé par le metteur en scène), maintenant on le traitait de lâcheur. Car pensez-vous qu'on l'aurait écouté ce matin, quand il disait devoir partir avant 18h ? Sûrement pas. Et les autres profitaient de son absence pour dire du mal de lui. Qu'il est trop bizarre, qu'il joue mal, qu'il met une des actrices mal à l'aise par sa proximité. Étonnant de la part de la pute qui profite de l'amour fou d'un de ses nouveaux amis, se jetant dans ses bras (et pas que) pour du réconfort aux premiers signes d'orage avec son copain de France.
Ça lui faisait mal, au garçon. Il savait ce que ça faisait de se faire isoler, d'être discuté dans son dos. Et les deux glousseuses de troisième, K et A, qui rigolaient derrière lui. Pas de J, heureusement, mais le garçon était loin d'avoir le coeur à rire. Il repense à la mini-fugue de J, un mercredi soir. Il l'avait retrouvé devant le grillage au bord de la rivière, hurlant à la solitude. On n'oublie pas l'image d'un péruvien à deux doigts de pleurer.

Le garçon considère le pont surplombant les rails du métro, comme chaque soir ou presque, mais un peu plus ce jour-là. Aucun train en vue. "Ne sois pas idiot", se dit-il tout haut. Mais peut-être que J pense parfois à la même chose.
Il traverse le large trottoir. Il pose son cartable, puis son sac à dos sur le bitume dégoulinant. Enfin, il lâche son parapluie, qui s'envole avec le vent trop fort.
Devenu une parodie de lui-même.
Le garçon attend quelques instants, puis se met à courir pour rencontrer le pare-choc d'un poids-lourd.

Le GarçonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant