Dans l'avion au retour de France, le garçon avait pris des décisions. Des sortes de bonnes résolutions, si on voulait. Plutôt des mauvaises résolutions, en fait, mais s'il y a une bonne explication, alors l'action est bonne aussi.
"J'suis pas une belle personne. J'suis une sale bête. Une bouteille de gaz dans une cheminée"
C'était juste un petit emploi du temps, lié à son changement de régime. Maintenant qu'il n'était plus obligé de manger à la cantine, il irait dehors, suivre un ordre de menus précis et strict au cours de la semaine, puis effectuer l'activité correspondante. Par exemple, le jeudi, c'était : "pain au curry, mandarine, lecture". Les emplois du temps, les choses organisées, les listes, ça le rassurait beaucoup depuis quelques mois.
"Seul à poil face à ton reflet avec ton dégoût de toi-même, ta culpabilité. Et ton désespoir comme seul témoin"
Ce qu'il avait dit à sa psy, c'est que "se forcer à rester avec des gens avec qui il n'avait pas grand-chose en commun tous les midis, ça ne le nourissait pas intérieurement. Rester dehors sur la promenade suspendue au-dessus de la rivière, à lire ou dessiner, en faisant des signes de tête aux vieillards qui passaient lentement à côté de lui, ça ça lui faisait du bien. Il était seul mais pas esseulé". Pourquoi pas ? L'organisation est l'essence de l'efficacité, la contemplation est le sport national du Japon. Quoi de mal dans tout cela ?
"Alors là, ça t'prend à la gorge, comme des odeurs d'ammoniac. Ça t'colle des sueurs froides, t'as les dents qui claquent!"
Le fait est que ces temps d' otium lui avaient fait réaliser des choses. Qui existaient déjà avant, mais qu'il n'avait jamais voulu voir. Que quand il voyait le visage d'un ami dans la rue, il ne voulait pas qu'il lui parle et se mettait à marcher plus vite. Que ses actions sociales se faisaient en général plus timides. Qu'il passait plus de temps avec sa mère lors d'événements sociaux comme les fêtes de fin d'année, si on sortait du cadre scolaire.
"De hurler ma peur de l'abandon, ma r'cherche phonétique d'attention. Mon besoin de reconnaissance en permanence, comme un chien, des caresses"
Il ne s'est pas rendu compte de ça par hasard. En fait, il ne ressent ces choses que le soir et le matin, sur le chemin d'aller et de retour de l'école. Le midi, il était réellement heureux, ou en tout cas, ce qui s'en trouve le plus proche. C'est un soir, vraiment, qu'il a vu ça, écrit dans le ciel noir de 18h. Car il préfère toujours regarder haut dans les airs plutôt que ses pieds sur les dalles dépareillées, son lacet défait mais qu'il ne veut pas s'arrêter pour refaire. Non, le ciel des soirs d'hiver ne dit jamais de belles choses. Mais si on regarde un peu plus bas, vers l'horizon, les immeubles l'illuminent et il s'auréole d'un voile jaunâtre. Fixer le plus haut point n'est pas toujours la bonne solution ; il faut parfois savoir baisser son regard.
"De hurler ma peur panique des autres. Ma mesquinerie sournoise, mes regrets, mes erreurs. Mes névroses, mes obsessions, mes méta-obsessions."
Mais pour être honnête, il était satisfait de cette vie plus regulée. Les instants avec soi-même ne sont pas toujours si douloureux. C'est une alternative qui lui plaît. Il est redevenu un gamin bizarre, maintenant il se maquille même un "XIII" rouge au coin de la bouche tous les matins en attendant le train. Ça fait du bien de reculer d'un pas, de temps en temps.