Partie 66 : machinations

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3 et 5

3 est prisonnière dans une pièce aux murs lépreux empestant l'urine de rat et la moisissure. C'est pourtant une chambre très demandée parmi les combattants de Thune : elle a une fenêtre, et si le temps est beau on peut même voir le soleil. Pour le moment, tout ce que peut faire la jeune fille, c'est attendre. Les gardes se succèdent pour la surveiller, à chaque fois un dans la pièce et un derrière la porte, et changent toutes les heures. Thune sait qu'il vaut mieux confier à ses enfants une série de tâches courtes pour les maintenir occupés et concentrés. À présent que la sortie est en vue, il a augmenté le niveau de discipline pour éviter que ses troupes surexcitées ne sombrent dans l'anarchie.

L'enfant qui doit veiller à l'intérieur de la chambre est Mok. C'est la deuxième fois qu'il garde 3 et quelque chose dit à la jeune fille que ce n'est pas la dernière. Contrairement à d'autres combattants qui sont plutôt hostiles, Mok cache mal sa curiosité à l'égard du monde extérieur en général et de 3 en particulier. Il n'est pas loin de croire que tous les gens vivant hors du Ghetto sont des Techs. Il n'arrive d'ailleurs pas à comprendre ce que sont les matériaux techs, les Techs humains et encore moins le Réseau. 3 préfère limiter au maximum ses explications : mieux vaut en savoir plus long que les autres, et si jamais elle doit immobiliser un gardien pour s'enfuir, ce ne sera pas dur de transformer le blouson tech que Mok porte fièrement en véritable camisole de force.

C'est l'heure où le timide rayon de soleil vient faire sa visite quotidienne. 3 s'est installée pour le recevoir dans le dos. Mok le regarde avec fascination.

« Tu ne vas jamais au soleil dehors ? demande 3 qui a du mal à comprendre ce manège.

— Et si frangine, je suis un caïd, dehors j'y vais quand je veux !

— Alors pourquoi tu le regardes comme si tu ne l'avais jamais vu ?

— Ici il y a pas de tireurs, c'est cool.

3 hésite quelques instants, puis se lève et lui montre la place libre en disant :

— Assieds-toi là si tu veux.

— Pourquoi ?

— Moi, j'ai l'habitude du soleil, et sans tireurs.

Les tireurs ne sont venus que la nuit, pense-t-elle, mais elle n'en dit rien. Mok se vante :

— Nous on va prendre la ville et tu vas voir, on va tout avoir pour nous ! On a pas besoin de cadeaux.

— Mais si vous y allez tous, tous les gens qui ici se tirent dessus vont continuer à se tirer dessus, non ?

— Mais non ! Il y a aura plein de place, et de bouffe, et... des tas de trucs trop cool !

— Non.

— Si ! Thune l'a dit ! Et même toi t'as dit qu'il y avait plein de bouffe pour tout le monde !

— Oui. Mais les gens continuent à se tirer dessus. Pourquoi tu crois qu'on est entré dans le Ghetto tous les trois ? On était en train de s'enfuir à cause des gens qui voulaient nous tuer.

— Je te dis que non ! Connasse de menteuse ! s'écrit Mok en frappant 3.

La fille parvient à ne pas tomber sous l'impact et recule sagement. Elle préfère ne pas répliquer. D'abord parce que Mok porte un couteau et un pistolet et qu'elle ne doute pas qu'il sache s'en servir sans hésitations inutiles. Ensuite parce que le garçon pleure. Presque pas, juste deux gouttes qui se forment au coin des yeux et qu'il efface d'un poing rageur, tout en la défiant du regard de dire quoi que ce soit. 3 fait bien attention à ne pas dire quoi que ce soit. Elle sait ce que ça fait de se prendre une réalité désagréable en pleine face. Elle se dit que l'enfant ne la croira pas tant qu'il n'aura pas vu de ses propres yeux la guerre du Ghetto mettre toute la ville à feu et à sang. Peut-être qu'à ce moment-là, en voyant toutes ces merveilles détruites avant même qu'il ait le temps de les découvrir, il comprendra que Thune ne se bat pas pour la liberté mais pour la vengeance. Et peut-être que même alors il continuera à suivre son chef aveuglément. Pourquoi pas ? Après tout, les gens de l'extérieur sont tous ses geôliers, ses ennemis, il serait normal qu'il ne leur accorde aucun crédit.

Les Techs - Tome 1 : les secrets du LaboratoireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant