Les Techs - Tome 1 : les secrets du Laboratoire

Partie 124 : pendant ce temps...

Dans la salle zéro, les humains attendent que les Techs reviennent à leurs corps. Ils ont tous l'expérience de ces moments d'absence. Mais la plupart d'entre eux attendent en rongeant leur frein plus ou moins impatiemment, frustrés de ne pas pouvoir intervenir sur ce qui est en train de se jouer. Mok, de plus en plus inquiet, ne sait pas vers qui se tourner pour demander de l'aide — tous lui paraissent être des ennemis potentiels et tous l'ignorent. Tout ce qu'il peut faire, c'est secouer régulièrement les corps abandonnés de 3 et de 5. En vain. Les seules personnes sur lesquelles il comptait pour donner du sens à ce monde absurde ne répondent pas. Une chose reste claire : Edmund et ses sbires dominent toujours la scène.

Sanx finit par exploser :

« Pourquoi ils mettent autant de temps ? Qu'est-ce qu'ils sont en train de faire là-dedans, bordel !

— Ce pour quoi ils ont été créés, répond tranquillement Edmund. Ils ouvrent un pont à quelque chose d'infiniment plus puissant qu'eux.

— En sacrifiant 7 ? Non, ils ne le feront jamais.

Choy précise de sa voix douce :

— Et ils ne laisseront pas passer quelque chose de dangereux pour l'humanité.

— Ils croient encore à ces conneries de protéger et servir, ajoute Sanx avec un coup d'œil venimeux aux professeurs.

Edmund a les yeux perdus dans la vague, comme s'il contemplait un plan invisible mais déjà consulté de nombreuses fois, et le trouvait une fois de plus absolument parfait. Il sourit aimablement et assure :

— Évidemment qu'ils veulent protéger et servir. Mais la... disons, l'entité qui leur parle, n'a pas d'intention hostile envers nous. Elle est d'ailleurs toute disposée à écouter mes précieux conseils pour garder en bon état son objet d'étude préféré.

L'homme marque une pause et reprend la parole juste à temps pour couper l'herbe sous le pied de Sanx qui s'apprêtait à l'insulter :

— Je ne pense pas qu'ils parviennent à l'empêcher de prendre 7. Ils ne sont pas de taille. Mais si jamais l'extraterrestre avait pitié d'eux ou qu'une autre idée bizarre lui passe par la tête, il me reste un argument de poids pour convaincre les Techs d'être sages. Une balle dans la tête de tous les humains à qui ils se sont attachés de près ou de loin devrait les calmer. Donc, messieurs-dames, priez pour qu'ils soient obéissants et soient en ce moment même en train de construire un pont vers les étoiles. Après tout, c'est une noble tâche, n'est-ce pas ?

Edmund éclate de rire. Glacée, Hindgam tente :

— Mais ce ne sera qu'une mise en scène ? N'est-ce pas ?

Derrière elle, Stones hoche frénétiquement la tête, lui aussi veut croire que jamais son presque patron ne pourrait le tuer pour faire obéir les Techs. Choy, Nora et Milley ne se donnent même pas cette peine — il y a bien longtemps qu'ils n'accordent plus aucun crédit à Edmund.

Josh Malone, perdu et terrorisé, se fait tout petit depuis un certain temps. Même pour des enfants — même pour ces enfants-là — il ne va pas risquer de se faire trouer la peau, il n'en a qu'une et il y est farouchement attaché. Mais ce n'est pas la perspective de la perdre si quelque chose se passe qui le pousse à se mettre sur le devant de la scène, c'est l'idée que les Techs sont en ce moment même en train de parler à une entité extraterrestre. Il y a donc une véritable entité extraterrestre, pour ainsi dire sous ses yeux, à sa portée, l'accomplissement de toute une vie de recherche, et il ne peut pas accepter de passer à côté parce qu'on estime qu'il n'est qu'un otage négligeable.

— Je veux la voir, dit-il d'une voix forte.

Personne ne réagit dans un premier temps et il répète :

— Je veux la voir ! Je veux parler à cette entité ! Je me contrefous que vous nous tuiez en son nom, mais si elle existe, je veux la voir réellement !

Sa réclamation est puérile mais il sait lui donner de l'allure. Il ne demande pas, il n'exige pas, il explique ce qu'il veut du ton parfaitement calme et convaincu de celui qui sait qu'il va forcément être obéi. Et pendant une seconde, médusés, les trois soldats d'Edmund se demandent si effectivement ils doivent suivre les ordres de leur otage.

M. Edmund remet le monde à l'endroit d'une phrase simple et froide :

— Faites-le taire.

Le chef semble déçu : même après ses longues explications, personne ne semble capable de comprendre la beauté et l'importance de son plan.

Ses états d'âme sont bien le dernier souci de Josh qui se met résolument à hurler :

— JE VEUX LA VOIR ! JE VEUX LA VOIR ! J'AI LE DROIT DE LA VOIR !

Le soldat aux ordinateurs reste près d'Edmund tandis que les deux autres s'approchent. La femme donne un efficace coup de poing dans le ventre de l'acteur. Pendant qu'il se plie en deux, l'autre soldat lui balance un coup de crosse sur la nuque. Josh s'écroule au sol en gémissant. Le soldat jette un regard rapide à M. Edmund, pour voir si les gémissements sont acceptés ou s'il faut les faire taire également. Celui-ci lui fait signe que c'est bon.

Un coup de feu retentit. Edmund s'écroule en hurlant.

Personne ne faisait attention à Mok. Personne ne l'avait fouillé. Et personne ne s'était aperçu que le silence anormal de ses deux Princesses-Esprits le paniquerait assez pour sortir son arme et tirer en voyant que leur groupe était attaqué par celui du dominant.

L'éternel petit grain de sable.

Immédiatement les soldats se retournent pour riposter. Peu importe que leur cible soit un enfant, la menace doit immédiatement être neutralisée. Le soldat aux ordinateurs s'est jeté sur son patron pour le protéger de son corps et a également sorti une arme. Mok n'a pas attendu d'être criblé de balles pour se réfugier derrière la cuve. Avec un juron, les deux soldats se séparent : l'un d'eux tient en respect les autres invités, y compris l'agent Hindgam, tandis que l'autre contourne précautionneusement la matrice et les Techs tétanisés pour atteindre sa cible.

L'enfant s'est réfugié derrière 3 qu'il secoue de plus belle, en vain. Au centre, flottant à quelques centimètres au-dessus de la cuve, 7 offre une cible parfaite et Mok ne se risque pas à la rejoindre. Il préfère utiliser 3 comme bouclier. Lorsque la soldate parvient à l'avoir dans sa ligne de mire, elle hésite une fraction de seconde face au risque de toucher la précieuse jeune Tech. Mok n'a pas ces scrupules et tire le premier. Il a la main sûre mais la femme est trop expérimentée pour se laisser toucher si facilement. Elle a pris sa décision : malgré le danger pour les Techs, laisser ce garçon armé tirer à tout va est encore plus dangereux. Elle doit le neutraliser. Elle riposte.

Pendant qu'elle le tient en respect, le soldat aux ordinateurs s'est relevé et tente de soigner M. Edmund. La balle ne l'a pas tué, mais elle ne tardera pas à le faire.

C'est impossible. M. Edmund est invulnérable. Il sait tout, il prévoit tout, il peut tout faire. Comment un simple enfant crasseux et inculte peut-il faire vaciller tout son empire, mettre à mal tous ses plans ? Un enfant que M. Edmund lui-même a accepté parmi eux ? Impossible. M. Edmund prévoit tout.

Pourtant le soldat n'a aucun moyen d'arrêter l'hémorragie. Son chef est en train de s'évanouir, sans parvenir à leur laisser d'ultimes instructions. Les militaires ne savent pas ce qu'ils sont censés faire ici. Malgré toutes les révélations qu'ils ont entendues, ils ne connaissent qu'une infime partie du plan. Seul M. Edmund a toutes les ficelles en main.

Le troisième soldat menace les autres invités. Ce n'est pas le moment de perdre davantage le contrôle de la situation déjà catastrophique. Mais il ne peut pas s'empêcher de jeter un coup d'œil sur son chef.

C'est plus que suffisant pour que Choy et Ève Hindgam, sans se concerter, l'attaquent et le désarment ensemble. Les considérer comme de simples otages était une erreur stratégique de plus — surtout Hindgam qui s'est vue rejetée par son propre camp au moment même où elle réussissait sa mission, et qui n'a plus d'autre choix que de se défendre. Un coup part dans la bataille, frôle 1 toujours pétrifié et perce la cuve tech. Les humains s'en aperçoivent à peine, le combat fait rage et c'est un combat à mort, bref et désespéré, loin des idéologies qui ont créé les deux groupes ennemis.