Partie 72 : au cœur des bombes T

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2 et 6

« Ça va marcher comme ça ? Vous êtes sûrs ?

Le militaire chargé du lancement des bombes T est un scientifique qui a fait de nombreuses études poussées dans son domaine, aussi loin qu'il était possible sans l'accord de la SRAM, et même un peu plus. Il comprendrait sans doute mieux que les politiciens pourquoi 2 et 6 n'ont besoin que de toucher les ordinateurs techs pour s'en faire obéir, sans utiliser souris ni clavier. Il comprendrait si quelqu'un s'était donné la peine de le lui expliquer.

Ce n'est pas le cas : il n'est pas lié aux personnes bien placées qui pourraient s'occuper de l'informer des derniers dossiers top-secret de l'armée, et il ne suit pas assez les actualités pour être au courant de ce qui agite l'opinion publique. Même la vague d'indignation lancée par 5 n'est pas parvenue à franchir les innombrables codes et autres couches de plastique protégeant la base. L'homme tombe donc des nues en voyant débarquer deux enfants chargés de lancer la plus grande attaque T de toute l'histoire de l'Alliance. En posant seulement leurs mains sur les ordinateurs.

— Oui, ça marche comme ça. » lui répond gentiment 2.

Derrière eux de nombreux officiels et hauts représentants surveillent la manœuvre, ainsi que le Président et le Premier ministre. Ils n'ont bien sûr rien à surveiller : les deux enfants se plongent dans le Réseau, point. Jusqu'à ce qu'un ordre de John Robertson les oblige à afficher sur l'écran tout ce qu'ils font.

2 jure tout bas. La manœuvre qu'elle s'apprête à exécuter est plus que délicate et devoir fabriquer au fur et à mesure de fausses images va encore la déconcentrer. Elle cherche dans ses souvenirs. Ces derniers temps, elle s'est baladée dans tout ce qui était à sa portée dans le Réseau, jusqu'à la limite de ses forces, avec un intérêt tout particulier pour les images satellites des différents Ghettos — surtout celui où sont enfermées ses sœurs. Ces images sont à présent des souvenirs et n'ont plus la précision des images d'ordinateur. La base est trop loin du Réseau mondial pour permettre à 2 d'utiliser les vraies. Elle les fait donc défiler à toute allure pour qu'on ne s'aperçoive pas dans la salle à quel point elles sont floues donc fausses. Puis elle insère dans le film plusieurs images abstraites utilisées pour tenter de dessiner le Réseau quand elle était dans le laboratoire. Suivi de nombreuses images des bombes T issues des caméras de sécurité du camp. Elle sort également de longues colonnes de chiffres générés au hasard, ça fait toujours son petit effet. Enfin, elle monte un programme passant en boucle sur les écrans toutes ces images, très vite, avec parfois des petits arrêts aléatoires, quelques retours en arrière, enfin tout ce qu'il faut pour en mettre plein la vue aux humains et qu'ils se décident une bonne fois pour toutes à la laisser tranquille. La jeune fille commence à savoir se comporter avec eux.

À présent, les deux Techs peuvent passer aux choses sérieuses.

6 a patiemment attendu que sa sœur ait terminé avant de se lancer dans l'exploration des nombreux programmes de la base : il est encore trop faible et trop inexpérimenté pour savoir se tirer de tous les pièges que le Réseau peut tendre à un esprit Tech. Paradoxalement, cette expérience du Réseau est la seule qui ne peut pas se transmettre par un contact Tech, c'est à chacun d'entre eux de l'acquérir petit à petit.

Ils se lancent pour arriver jusqu'aux bombes. 2 demande à son petit frère de rester en arrière, par prudence. Elle a déjà étudié cette matière tech brute. Ce n'est pas un piège pour l'esprit Tech, contrairement à certaines autres, mais il est impossible de l'utiliser pour véhiculer sa pensée. Pas parce qu'il serait imperméable aux esprits Tech, au contraire. Mais ce que les humains voient comme une grosse boule souple, ressemblant de l'extérieur à du mercure liquide, est en réalité un énorme nœud composé de milliards de milliards de fils microscopiques. Les traverser implique une concentration bien plus éprouvante que le Réseau, puisqu'il n'y a aucun point de repère ni aucun but vers lequel se diriger instantanément. 2 préfère se concentrer sur les machines techs qui commandent le déploiement des bombes en injectant au moment voulu un code chimique. Elle montre à 6 comment saboter ce code pour empêcher le déploiement, puis comment bloquer l'accès des machines à des humains qui tenteraient de réparer. Ce n'est pas très difficile et rapidement l'enfant se lance à son tour. Il y a 152 bombes T de grande, moyenne et petite envergure de l'arsenal de l'Alliance. En raison des difficultés de fabrication et de transport, elles sont toutes stockées au même endroit, ce qui est parfait. Lorsque les enfants auront terminé, l'Alliance ne possédera plus que des lance-pierres géants envoyant des bombes aussi redoutables que des gros cailloux. D'ailleurs 2 a bien l'intention de saboter également les lanceurs des bombes T.

C'est lorsqu'elle entre dans la troisième machine que 2 ressent quelque chose d'étrange. Il y a un mur devant elle, elle en est persuadée. Et dans le monde hors des cinq sens qu'est le Réseau, ressentir, c'est voir. Il y aurait donc un mur protégeant l'allumage de la bombe. Pourquoi pas, après tout il serait normal de trouver une sécurité ici. Mais dans ce cas, pourquoi sur cette bombe et pas sur les précédentes ? Et surtout, qu'est-ce que c'est que ce mur qui est dans le Réseau sans être tech ?

Elle s'approche prudemment. Le mur recule et avance, sa présence est plus diffuse et plus nette. Elle ressent des informations totalement contradictoires. Une seule certitude : elle est totalement incapable d'avancer.

Elle appelle son petit frère :

Viens m'aider ! Je n'arrive pas à franchir ce mur, là. Il est bizarre, fais bien attention à ne pas trop t'approcher !

Quel mur ? Je ne vois rien ! répond 6.

Ce qui confirme les pires soupçons de 2. Elle sait ce que c'est mais refuse de l'admettre. Pas ici, pas maintenant...

Elle a déjà connu ça et ça n'est pas un bon souvenir.

Dans le laboratoire, les Techs étaient éduqués, pas programmés. Mais on a tenté, quand même, de voir de quelle manière ils pouvaient bien être manipulables. Pour la science, disait le professeur Stones, par sécurité... Ben voyons. 2 avait été très réceptive à l'hypnose et aux injonctions de "sécurité". Elle ne se souvient pas de grand-chose, elle avançait comme une somnambule au milieu d'un parcours dont elle connaissait à l'avance les pièges sans savoir d'où venaient ces souvenirs, elle lançait son esprit dans le Réseau et se heurtait à des murs invisibles... comme celui-ci.

Donc, lorsqu'on lui fait une piqûre de somnifère au B.A.G.N., on ne s'est pas contenté de l'endormir. On l'a programmée pour qu'elle se mette elle-même des bâtons dans les roues si jamais l'envie lui prenait de désobéir aux ordres de l'Alliance. Qui a pu leur dire comment faire ? Cette méthode faisait partie des secrets du laboratoire. Qui savait ? La SRAM ? Les surveillants ? Les professeurs ?

La jeune fille repousse ces questions. Pour le moment, l'essentiel c'est de se délivrer. Déjà, autrefois, les ordres programmés lui avaient collé de sacrés handicaps une fois activés. Il avait fallu que 1 s'occupe de les désactiver, entrant dans l'esprit de sa sœur et triant ses pensées une à une jusqu'à enlever toutes les impulsions parasites. Pour le moment, 1 n'est pas ici. Il n'y a que 6, et 6 n'est qu'un gosse. Mais il pourrait le faire. Peut-être.

2 lui transmet tout ce qu'elle sait sur l'hypnose des Techs, y compris les informations que 1 lui a envoyées après le grand nettoyage. Mais si la théorie passe bien, la manœuvre elle-même demandera nécessairement une façon de faire délicate qui pourrait bien manquer au petit garçon. 2 se dit qu'elle n'a pas le choix. Elle préfère être blessée par son frère que de prendre le risque de tous les trahir au moment crucial.

Lentement, précautionneusement, 6 se met au travail.

Les Techs - Tome 1 : les secrets du LaboratoireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant