Je veux pas y croire.

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Je le sais, je l'ai vu, je l'ai senti, je l'ai compris, on me l'a dit. Et pourtant. Je ne veux pas y croire. Ça me paraît impossible, inconcevable.

Il y a deux semaines il était là, je lui ai embrassé la main, et quelques heures plus tard plus rien. il était parti, il avait disparu. Comment tout peux se passer aussi vite ? Ça semble impossible. Il était plus fort que tout pourtant, avait vaincu deux cancers et plusieurs gros problèmes de santé. Il faisait la moitié de mon poids et pourtant il avait encore la forme, on l'avait déjà enterré une dizaine de fois dans nos pensées au cour de l'année et à chaque fois il nous avait prouvé que ce n'était pas encore son heure. Ça faisait trente cinq ans qu'il était censé avoir disparu selon les médecins ; alors quelqu'un peut-il me dire pourquoi d'un coup, aussi brusquement, tout s'est effondré ?

J'ai vu la douleur dans les yeux de chacun, me repassant sans cesse dans ma tête une phrase, un en mise en garde : "faudra pas pleurer quand il sera mort, faudra pas pleurer quand il sera mort.". Je l'ai vu à travers cette foutue vitre, ressemblant à une poupée de cire, à un animal en cage. Une vitre. J'avais l'impression d'être au musée, au zoo, à l'aquarium. Rien à dire, même s'il était beau - et Dieu sait qu'il l'était - ça ne pouvait pas être lui.

Je ne veux pas y croire, je refuse de l'accepter, ce n'était pas lui, un point c'est tout. C'est une énorme blague qu'on nous a tous fait. Demain je vais me réveiller et il sera toujours là, à faire des blagues à sa femme, à faire peur aux enfants avec sa voix robotiques et son sourire dit de la connerie ornera encore son visage. Je ne veux pas y croire.

Je ne sais pas ce qui fait le plus mal, voir les autres pleurer, se refuser à ouvrir les valves, se remémorer tous les bons moments, ou encore se rendre compte qu'il nous reste une photo de lui ? Je refuse de me dire qu'à chaque fois que j'irais dans sa maison il ne sera pas là, je refuse de me dire que je ne verrais plus jamais d'emballage de tablette de chocolat blanc sur la table basse du salon, je refuse de me dire que je ne le verrai plus trimballer son couteau partout avec lui.

Et puis, d'un côté je me dis qu'il doit être bien là où il est. Il a dû rejoindre son fils, ses parents, et qui sais-je encore. Il ne doit plus souffrir, ne doit plus être fatigué, doit à nouveau avoir un estomac et pouvoir parler avec sa vraie voix. Je suppose. Ça me réconforte de penser ça, sinon comment est-ce que je pourrais le supporter ?

Il était si froid quand je l'ai embrassé pour lui dire adieu, et j'avais si mal de voir tout le monde s'effondrer autour de moi. Même les plus forts pleuraient, et moi j'étais là, debout à me retenir, me débrouillant pour enlacer tout le monde et leur rappeler qu'il serait toujours avec nous. Et moi ? Personne n'est venu me voir, personne ne m'a demandé comment je le vivais. Mais j'ai rien dit, j'ai respiré aussi fort que possible et j'ai laissé les autres m'agripper pendant qu'ils se pressaient tous prêt de la vitre, pour voir le cercueil disparaître dans le four. Je les ai tous écouté lui dire adieu, sans rien dire. J'avais déjà passé une dizaine de minutes à tous les voir lui dire au revoir et lui parler, et je recommençais à nouveau. Et avant la cérémonie, avant tout ça, même la veille, je suis restée le plus longtemps possible face à lui, silencieuse et renfermée. Je crois qu'en fait, j'en avais besoin. J'avais besoin de me rendre compte de la chose, j'avais besoin de me faire du mal à rester à ses côtés, j'en avais besoin, parce que j'avais l'impression que comme ça, s'il ne restait jamais seul, il ne partirait pas. Je crois que je me suis trompée, dans toute ma naïveté d'adolescente de 15 ans.

"Lo siento" à répétitions, toujours la même chose. Même plus de "holla", juste une accolade et un désolé balancé du bout des lèvres. Et moi je répondais pas, hochant la tête, avant que j'avais envie de hurler : " Mais arrêtez de vous excuser, arrêtez d'être désolé ! Vous le connaissiez sans doute mieux que moi, vous le voyiez plus souvent que moi, alors c'est à moi de m'excusez pas à vous !". J'avais envie de leur parler à tous, mais le problème de langue s'est interposé : je les comprenais, mais pas eux. Enfin, je comprenais dans la mesure du possible. Et je crois que tout ce que je n'ai pas compris me donne envie de me haïr. Je n'ai rien compris à la cérémonie, même quand il a été proposé au petits-enfants de faire un discours. Enfin, de toute façon qu'est-ce que j'aurais bien pu dire hein ? Rien du tout.

Et maintenant, il me reste quoi à moi ? Rien. Juste des larmes refoulées, même pas un objet pour me le rappeler. Juste la douleur, le manque, le déni. Et la peur. La scène se rejoue encore et encore dans mon esprit, la peur quand j'aie vu que ma mère et mes frères ne revenaient pas juste après avoir pris la voiture. Je me souviens de ma tante qui disait à répétition "où sont mes sœurs ?". Mais et moi tatie ? Elle était où ma famille ? Et encore une fois tout le monde la réconfortait elle, mais pas moi. C'est sûr, après tout : elle avait peur d'avoir aussi perdu ses sœurs, à côté de ça ma possible perte était minime.

Je ne sais même pas comment je me sens. Je crois que je suis en colère et triste. Je m'étais promis de ne plus jamais porter de noir, et pourtant c'est ce que je fais en permanence. Je m'étais promis de ne pas m'énerver contre les autres, et pourtant je l'ai fait. Je m'étais promis de ne pas en parler, à personne, et pourtant c'est ce que j'ai fait.

Ouais, j'ai mal. Vraiment. Et je m'en veux. Et j'en veux au monde, à la Vie. Et j'ai envie de pleurer. Et d'un côté je ne veux jamais infliger ça à ma famille alors que d'un autre ça semble être la libération. J'arrive plus à grand chose, je dois l'avouer. On fait avec, comme on dit. Ou alors on fait pas du tout, ça marche aussi.

Aujourd'hui, j'ai plus envie de me retenir, j'ai plus envie de cacher la douleur face à sa perte, et pourtant je continue de le faire. Je me sens toujours aussi mal, et toujours en silence. Je crois que je ne vais pas tarder à refaire des conneries pour tout contrôler, mais bon je ne suis plus à ça près.

J'ai envie d'écrire, de lui écrire. Mais les mots restent bloqués. Je veux lui parler dans sa langue mais je n'y arrive pas, alors je me répète ce que j'ai lu, ce que l'on m'a traduit, qui était écrit sur une banderole, sur un bouquet de fleur posé près du cercueil : "Recuerdo de tu esposa, hijos, nietos y biznietos." Mais j'ai envie d'essayer quand même, bien que je ne veuille pas croire qu'il soit parti, qu'il ne soit plus là, qu'il soit mort. Papy.

A ti abuelo, te hecho de menos y te quiero. Recuerdo de eso por favor, porque estas palabras son las unicas que te puedo decir. No hablo tu lengua, sabes, pero quiero hablar contigo toda la vida, y si ahora no estas conmigo o en tu casa, vale. Voy a decirte esto en mi cabeza, y nunca reverlalo a nadie. Te quiero abuelo, para siempre, adios (prefiero hasta luego, vale ?)


Libération d'émotions.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant