Prologue : Zoé

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« On est sérieusement en train de se demander si on va se baigner dans la rivière à trois heures du matin ? »

Zoé soupira, rassurée. Les adolescents qui l'entouraient étaient tous ivres et elle croyait jusque là être la seule à trouver déraisonnable de se baigner en pleine nuit dans une rivière aléatoire. Mais visiblement, quelqu'un d'autre avait un peu de jugeote, ici. Un peu à l'ouest, Zoé se rendit compte avec surprise que c'était Anna qui avait parlé. Anna, la grande fêtarde du lycée qu'elle pensait avare de bêtises. C'était assez inattendu.

À moins que...

Anna reprit, enthousiaste :

« La question ne se pose même pas ! Évidemment qu'on y va ! »

Et merde. Zoé était dans de beaux draps, entourée d'une dizaine d'adolescents plus inconscients les uns que les autres. Elle les connaissait à peine, mais assez pour savoir que cette affaire allait mal tourner. Évidemment, son amie Farah qui l'avait traînée à cette fête était en train de ronfler parce qu'elle avait trop bu. Zoé esquissa un sourire. Farah aurait adoré se baigner en pleine nuit, et elle allait probablement reprocher à Zoé de s'être endormie.

Inquiète, Zoé se rendit compte que tout le monde se déshabillait suite aux paroles d'Anna. Mais qu'est-ce que je fais ici ? Même si le taux d'alcool global était assez élevé pour que personne ne prête attention à elle, Zoé se voyait mal se retrouver en sous-vêtements devant des quasi inconnus. Elle maudit intérieurement Farah de l'avoir entraînée ici et se promit de lui concocter une petite vengeance.

Sur cette pensée réconfortante, Zoé s'éclaircit la gorge avant de déclarer discrètement, préparant sa fuite :

« Bon c'est pas tout, mais je vais aller dormir, je suis fatiguée ah-ah... »

Son ah-ah trahissait bien son incapacité à interagir de manière socialement inadaptée. Il y avait des personnes qui savaient toujours quoi dire au bon moment, et puis il y avait les Zoé, pour qui chaque discussion demandait un effort surhumain d'adaptation. Qui ne payait pas toujours. Mal à l'aise, elle s'éloigna rapidement. Tout le monde ayant plus ou moins bu, personne ne l'interpella ni ne se rendit même compte de son absence. Elle avait l'habitude d'être ignorée. Ce qui n'était pas pour lui déplaire, en fait. Zoé avait appris à se faire toute petite et ce sentiment la rassurait, désormais. La solitude ne l'avait jamais trahie, bien au contraire. C'était son mécanisme de survie.

« Hé, toi ! »

Zoé se retourna. En sous-vêtements, enjambant la cambrousse, une Anna gesticulante telle un ver de terre la rejoignit. Zoé grimaça. Elle s'attendait au pire.

« Qu'est-ce que tu fous ? Tu vas louper le meilleur de la fête ! »

Zoé pencha la tête, un peu surprise. Elle n'avait jamais adressé la parole à Anna. Anna était cette fille très populaire au lycée que tout le monde adorait et qui avait plein d'amis. Et, ne serait-ce que parce qu'elle ne voulait pas se mettre toutes ses connaissances à dos, Zoé ne pouvait pas la laisser en plan. Elle prépara mentalement des arguments plausibles.

« Je suis fatiguée, je vais rejoindre Farah, expliqua t-elle innocemment.
- Pas question ! s'indigna Anna d'une voix éméchée. C'est ma fête, et je t'ai pas donné l'autorisation !
- Excuse-moi, je ne savais pas que j'avais besoin de ton autorisation pour aller dormir, ironisa Zoé avec un petit sourire.
- Maintenant, tu sais ! Si Farah dort comme un trou, c'est son problème. À moins que... Oh... »

Un sourire malicieux illumina son visage, éclairé par la lune. Et, soudainement, Zoé prit conscience de sa beauté. Ses yeux bruns, très foncés, étaient d'une expressivité remarquable ; ce regard était d'autant plus déstabilisant qu'il était surplombé par de longs cils. Ses lèvres rosées et pulpeuses semblaient prêtes à esquisser un sourire en coin à tout moment, comme si elles avaient été faites pour illuminer le monde. Ses taches de rousseur lui donnaient un air enfantin qui s'accordait parfaitement avec sa moue boudeuse. Ce visage dans lequel il était si facile de se perdre était encadré par des cheveux lisses qui lui arrivaient aux épaules et lui donnaient du caractère. Zoé se sentit tressaillir et l'espace d'un instant, elle en oublia où elle se trouvait.

La terre était rondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant