Jeudi 14 décembre

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17h30, devant le lycée

Comme tous les soirs, j'attends que la foule se disperse. Dès lors que cette masse bruyante a déserté les lieux, je commence le chemin de retour. Je marche au rythme de mes musiques, emmitouflé dans mon long manteau noir. Mon écharpe et mes mitaines bordeaux rappellent la doublure de mon pardessus. À peine ai-je fait quelques pas que je me souviens avoir oublié quelque chose dans mon casier, un livre que je suis en train de lire : En finir avec Eddy Bellegueule d'Edouard Louis. Je m'empresse de faire demi-tour. Le concierge me voit débouler devant la grille du lycée.

- Tu as encore oublié quelque chose, Léo ?

- Oui monsieur, désolé.

- Ce n'est rien : dépêche-toi.

- Merci beaucoup.

Je m'empresse de rejoindre les casiers sous le préau. À cette heure-ci, il n'y a pas âme qui vive dans le lycée : les externes et les demi-pensionnaires sont rentrés chez eux et les internes préparent leurs valises pour pouvoir repartir demain. J'ouvre la porte de mon casier, je prends mon livre et le mets dans mon sac avant de remettre le cadenas sur la poignée. Je me retourne en direction de la sortie. Deux garçons se tiennent à quelques pas de moi, les garçons qui avaient rejoint Thomas au CDI, l'autre jour (je reconnais surtout le plus grand des deux avec sa chevelure rousse). Je baisse la tête et me prépare à les croiser. J'arrive à leur hauteur et quelqu'un me retiens par le bras : c'est le roux. Il me plaque contre les casiers dans un bruit sourd de fracas.

- Alors comme ça on aime les garçons ? Tarlouze ! dit le plus petit.

- On t'a entendu en parler avec la pute espagnole, l'autre jour, à la cantine ! ajoute la brute qui me tient.

Je ne comprends pas ce qu'il se passe. Pourquoi s'en prennent-ils à moi ? Ils continuent de m'insulter, mais je ne les comprends plus. Quelqu'un d'autre hurle : "Foutez-lui la paix, bordel ! Barrez-vous !" Soudain, je me retrouve recroquevillé par terre, le dos contre le mur métallique. Thomas est là lui aussi. Je devine sa présence à son odeur, car les larmes brouillent ma vue. Il se met à ma hauteur et pose une de ses main sur mon genoux et l'autre sur mon épaule. "Ça va ? Tu n'as rien ?" me demande-t-il inquiet. Je ne peux pas répondre. Il m'aide à me relever et me maintient de bout en me serrant dans ses bras. "Je vais te raccompagner chez toi. Ne t'inquiète pas : c'est fini." Sa voix parvient à m'apaiser, tout comme son étreinte. Nous nous mettons alors en route.


18h00, devant chez moi

Ma mère sort de la maison inquiète.

- Oh mon chéri, tu es là ! Mais que t'est-il arrivé ?

- Des garçons l'ont bousculé à la sortie du lycée, répond Thomas.

- Pourquoi t'ont-ils fait ça ? insiste ma mère.

- Ce sont des brutes : ils n'ont pas besoin de raison.

- Vous êtes un ami de Léo ? demande-t-elle à Thomas

- Pas vraiment : nous partageons le même cours d'Italien, c'est tout.

Elle remercie Thomas pour son comportement et il lui assure que c'est normal. Ma mère lui propose alors d'entrer, mais il doit retourner à l'internat. Il passe sa main dans mes cheveux et me dit "à demain".

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