Chapitre 7 : Mauvaise idée

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Il renversa la tête en arrière, si brusquement que j'en eus mal au crâne. Il fut pris d'un rire dément, qui n'avait plus rien à voir avec celuin d'un gamin moqueur et innocent. Il s'emblait bien s'amuser ; j'eus soudain l'image d'un grand loup noir jouant à faire danser un petit lapin blanc maigrichon au son de ses griffes.

_ Dis-moi que tu plaisantes! Et nous sommes également :"Armés et très dangereux", je suppose? C'est plutôt flatteur, si on considère que je n'ai jamais tenu un flingue de ma vie. Enfin si, quand j'étais gosse, mais il lançait des confétis...

Il faisait de l'humour tout en employant une voix tout droit sortie d'un film d'horreur. Il était tellement difficile à cerner que je me demandais comment Anthony faisait pour le supporter. Ce dernier nous tournait d'ailleurs le dos.

_ Mais bon... On pourra se passer de toi. Tu risquerais de nous dénoncer à la police. Tu as bien l'air de la parfaite petite citoyenne, incapable de jeter un mouchoir dans la rue. C'est dommage, tu aurais été très douée en Intra! Il va falloir qu'on en trouve un autre. Tu nous donne du fil à retordre : les Intras, de nos jours, ça ne court pas les rues...

Qu'est-ce qu'il entendait par là? Dégage, grande grue, il veut te faire la peau! Mais si je courrais, il pourrais aisément me rattrapper. D'autant plus que la foule s'était pas mal éloignée de nous...  Bah crie alors, t'as des cordes vocales, non? Aller, fait un truc, bon sang! Rien. Rien ne sortais. Et quand bien même, je n'avais pas assez d'air pour produire le moindre son.

Et pendant que je tergiversais, Julien se rapprochait dangereusement. Le petit lapin blanc ne danserais plus logtemps...

_ Je dirais rien! Promis, mais laisse moi partir!

Je voulais avoir l'air assurée, mais j'avais plutôt la voix d'un chiot qui chouine. Il secoua la tête d'un air navré en se rapprochant d'avantage. Anthony, lui, ne s'était même pas retourné.

Soudain, sans prévenir, Julien me sauta dessus, dans un cri affreusement bestial. Durant la fraction de seconde où j'apperçu son visage, je vis ses yeux devenir brutalement d'un orange incandescent, et sa gorge ressemblait à un gouffre noir rempli de goudron. Mais ce changement d'apparence, bien qu'effrayent, n'était pas mon plus gros soucis. Je me retrouvais projettée à terre. Mon crâne heurta violemment le mur auquel j'étais acculé et émis un craquemet sourd.

Puis, plus rien. Je m'étais attendue à un choc, un coup de couteau ou même de dents sur ma nuque. Mais rien. Je restais sur le sol, positionnée en chien de fusil. Je levai la tête et vis Julien, la main tendue vers moi, qui attendait en souriant. Ignorant royalement son aide, j'entrepris de me lever.

_ Avoue que je suis plutôt bon acteur. J'ai dû te foutre une sacrée teouille quand même!

Son ton était léger, son regard bienveillant. Je me jetai alors sur lui et le rouai de coups.

_ Eh, mais arrête!

_ Tu es totallement cinglé. Fous à lier! lançai-je en ponctuant chaque mot d'une nouvelle attaque. Rhh, je vais t'arracher les yeux! Qu'est-ce qu'il t'as pris de... de...

Je fus prise d'un vertige. Julien passa son bras autour de ma taille juste à temps pour m'empêcher de m'effondrer.

_ Tu as raison, j'y suis allé un peu fort...

Il plaça sa main derrière mon crâne endoloris et posa son front sur le mien. Mon coeur s'emballa (pas à cause de la peur malheureusement), et je maudis cet organe qui n'en faisant qu'à sa tête.

_ Je ne pourrais et ne voudrais jamais me débarasser de toi, chuchota-t-il.

Puis, il m'embrassa le sommet de la tête et s'éloigna.

_ Ni de toi, ni de personne d'autre d'ailleurs, dit-il.

Je remarquai alors que la main qu'il avait posé sur mon crâne était pleine de sang. Mais quand j'y passa la mienne, je n'y trouvais rien d'autre. Pas une égratinure.

_ Le don de guérison, fit-il avant que je ne puisse penser à poser la question.

Anthony se manifesta alors pour la première fois depuis que les choses avaient commencé à s'envenimer. Il leva la main comme un gamin qui réclame l'attention d'un professeur et s'écria :

_ Moi j'ai celui de la vision!

Je lui lançai un regard noir, le soupsonnant de s'être bien amusé. 

_ Heu... balbuta-il un peu destabilisé par mes yeux qui avaient soudain pris des allures de mitraillettes. Je... J'y reviendrai plus tard.

Je me retournai vers Julien, voulant paraitre assurée (je devais plutôt avoir l'air constipée) et lançai :

_ Et comment je peux vous croire pour les... les...les meurtres? Vous... Tu m'as ammenée ici de force, quand même! Je...

_ Dixit celle qui a sauté d'un train pour suivre un contrôleur fou qu'elle connait à peine dans cette vie-ci!

Je le regardais avec des yeux ronds.

_ Oups, dit-il. La fin de la phrase m'a échappé...

Il souriait encore et toujours, ses yeux fixant les miens comme s'il étudiait la durée de vie d'un jouet tout neuf. Sordide. T'as pas mieux comme comparaison?

_ Bon, soupira-t-il, si Mademoiselle veut des preuves...

Je voudrais bien savoir quel genre de preuves allaient démontrer son innocence.

Il se pencha vers moi (il était souvent penché quand il me parlais, je me demandais toujours si j'étais petite ou si lui était immense) et me lança :

_ Si je trouve le meurtrier, tu voudras bien me croire?

Bon! Comme quoi j'avais toujours tendance à me fourrer dans tes affaires louches. Quelle que soit la solution choisie, je me retrouverais à courir après un meurtrier...

_ Je veux juste renter chez moi.  Laisse moi partir.

J'en avais marre de tout ça. Marre d'être continuellement malmenée comme une vulgaire poupée de chiffon. Il ne voulait pas me faire du mal?  Qu'il me laisse partir.

_ Comme tu veux, répliqua-t-il sur un ton sec. Bonne chance pour le chemin du retour. Je suis sûr que tu n'a même pas de quoi te payer un sandwich...

Maintenant qu'il le disais, je me rendais compte qu'il ne me restais plus rien  : j'avais tout laissé dans mes bagages,  qui bien entendu étaient restés dans le train et les quelques pièces que j'avais dans mes poches avaient dû finir leur course au fond du lac ou nous étions tombés. Je haïssais avoir tord. Mais je haïssais encore plus ce regard qu'il m'avais lance : du mépris. Ça me donnais presque envie de pleurer. Eh, c'est pas le moment de jouer les sentimentales! Je te rappelle qu'il vient de te proposer de courir après un meurtrier et que tu n'a pas un rond en poche!

Ils avaient déjà tourné le dos et je dû courir pour les rattraper. 

_ C'est bon! Je viens!

RéciproqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant