Chapitre 19 : Juste à cause d'un coup de hache

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ー Le chef suprême de l'Empire infernal, commandant des six milles six cent soixante-six légions, fondateur de l'Ordre de la Mouche vous demande en une réunion d'urgence, princesse Lilith ! entendit-elle crier à sa porte.

ー Je viens de suite, dit-elle de sa voix princière.

Soufflant d'exaspération, elle retira ses lunettes et referma son livre sur les Cerbères d'un geste brusque. Une heure de pure lecture, c'était tout ce qu'elle avait pu gagner. Le titre princier n'était pas de tout repos, elle avait l'impression d'être appelée en réunion seulement lorsqu'elle était plongée dans une activité.

Elle détacha ses cheveux bruns qui tenaient en queue de cheval basse et troqua sa robe de chambre contre une robe rouge moulante. C'était qu'elle avait une réputation à tenir. Ce qu'elle aimait dans leurs fonctionnalités, c'était qu'ils pouvaient choisir deux tenues à la fois : celle qu'ils portaient et une pour se changer s'il y avait lieu de le faire. Enfin, trois si l'on comptait leur forme démoniaque. Pan aimait bien utiliser comme habit principal, ce costume de majordome noir lorsqu'il était avec Ana. Elle devait être fétichiste de ces serviteurs, songea Lilith.

Pan marchait dans le couloir pour sortir du pays d'Hadès. Enfin, celui d'Hadès et de Pluton. Avec eux, l'inimaginable s'était produit : deux princes pour un pays. Ils alternaient leurs places aux réunions. Pan en déduit donc qu'aujourd'hui, il verrait Pluton. Une bien charmante compagnie comparée à celle de son égal de feu. Leur titre était quelque peu ridicule : Princes du pays du feu, gouverneurs généraux des pays enflammés, grands-croix de l'Ordre de la Mouche. Lucifer était un fanatique des titres à rallonge. Heureusement que lui et Lilith y avaient échappé : Princesse des succubes et Prince des incubes, c'était bien assez.

Sur sa route, il rencontra Baal et Astaroth. Cette dernière avait beau être la démone de la drogue, elle était aussi la grande trésorière. Et celle à ses côtés était l'imposante, la rigoureuse et redoutable générale en chef des armées infernales, grand-croix de l'Ordre de la Mouche. Voyez-vous comment ces titres étaient fatiguants à lister ? Les trois ne parlaient pas : Astaroth déprimait de ne plus pouvoir vendre sa drogue aux humains ; ça les amusait bien de voir les effets que ça leur faisait. Baal, Pan n'osait pas essayer de savoir ses pensées. Tous les Enfers la connaissaient pour son tempérament fort et, était-il utile de souligner qu'elle était la seule, à part Lulu qui ait jamais refusé ses avances ? En son fort intérieur, il essayait de se persuader qu'elle était désespérément frigide. Ça sonnait mieux qu'insensible à son charme.

Baal réfléchissait aux tactiques de guerre. Ils prenaient trop leur temps ! Ils fallaient qu'ils surprennent leurs ennemis par tous les moyens. Le plan proposé par Lilith était bien beau : corrompre les démons avant de les attaquer. Seulement, plus loin étaient ces pourritures angéliques, mieux c'était. Ils n'avaient rien à faire sur Terre, sur le terrain qu'ils avaient désigné comme le leur avant eux. Encore moins de vouloir récupérer les âmes humaines. Ils n'étaient que de piètres anges gardiens.

Ils pénètrent, après quelques croisements et trente minutes humaines, dans le pays de sieur Moloch : le pays des larmes. Après d'innombrables couloirs, des salutations entre connaissances et autres choses en rien intéressantes, ils arrivèrent enfin devant la grande porte du conseil. Baal voulu la pousser mais, changea brusquement d'avis et d'une pression de la paume, un côté de la porte en fer se détacha et partit s'écraser contre le mur - antérieurement baie vitrée. Heureusement qu'on avait changé la décoration.

ー Mais tu es folle ?! demanda la trésorière en sortant de sa déprime.

Mais Pan avait compris aussi vite que la générale en chef. Lucifer n'était toujours pas arrivé, ni la plupart de leurs habitués d'ailleurs. Ils n'y avait que les suspectés traîtres. Juste derrière la porte, s'était trouvé Satan qui fut projeté en même temps que l'objet, contre le mur. Autour de la table, les présents essayaient de présenter un air serein bien qu'ils savaient qu'ils ne l'atteindraient jamais.

Chamoos se tenait présent avec son teint mat, ses yeux bleus et sa taille de nain. Comment ce petit roux avait-il pu trahir Lucifer ? Lui qui lui avait évité d'être pointé du doigt par tout le royaume en le nommant comme serviteur personnel. Il ne devait même pas être dans cette salle. Son rôle était d'accompagner son maître et de se placer dans un coin de la pièce. Exactement comme un majordome.

ー Dis-moi, sourit Lilith en arrivant derrière eux. Comment se fait-il que mini-pouce soit à la table du conseil avec en plus, l'absence de son maître ?

Elle s'approcha sensuellement de Pan pour lui mordiller le lobe de l'oreille. En tant normal, cela aurait dû l'émoustiller mais il n'était pas d'humeur. Il n'était d'humeur à rien ces derniers temps, un grand Vide engloutissait son coeur et son être. Elle se dirigea ensuite vers l'interpellé qui balbutiait :

ー Je ne le voyais plus alors j'avais pensé qu'il était venu sans moi. Mais en entrant dans cette pièce, force était de constater qu'il était absent. Sieur Léonard me proposa donc de m'asseoir pour l'attendre, chose que je trouvai fort intelligente.

ー Dois-je comprendre que vous avez perdu votre maître alors que vous étiez censé le suivre comme son ombre ? Et que vois-je !? Vous osez poser vos fesses sur la chaise en or de notre empereur ? Mais êtes-vous fou ?! s'emporta Baal.

Baal pouvait aisément plaire : cheveux blonds organisés dans un magnifique carré plongeant et surmontés d'une frange, des yeux verts envoûtants, des ailes noires d'aigle royal ainsi qu'une peau douce et mate. Le problème était que les démons ne tombaient que rarement amoureux. De toute façon, lorsque cela arrivait, c'était une énorme catastrophe.

Prenons le mariage de Moloch par exemple : Phèdre ー oui, la maudite amoureuse du fils de son mari ー venait de mourir. En écoutant les pleurs de son pays, Moloch entendit une voix qui l'ému jusqu'au plus profond de son être. Ils implora Lucifer pendant des années pour qu'il transforme cette humaine. Lorsque celui-ci céda à la requête, Moloch se maria. Cependant, des problèmes commencèrent à se poser : il se trouvait qu'elle ne l'aimait pas, qu'elle avait joué la comédie pour qu'il la délivre. Elle refusait de lui faire une descendance, il perdit la grande influence qu'il avait sur les humains et gagna cette apparence peu esthétique. Résultat : un mariage gâché, aucun plaisir et la perte du respect de tout le royaume.

Mais passons outre. Tout cela pour dire que Baal était belle mais qu'elle n'avait pas assez de seins ou de fesses pour que tout le royaume lui fasse la cour.

ー Excusez-moi générale ! Cela ne se répétera plus. Et je ne suis pas digne d'être vouvoyé.

ー Je vouvoies tout le monde, je déteste les familiarités.

Pan s'était tellement déconnecté qu'il avait raté le magnifique seau de Chamoos pour se lever de la chaise. Il se tourna vers les autres : Baalberith et Léonard étaient clairement ceux qui l'énervaient le plus. Le grand Pontife et le grand maître des Sabbats ! Ils étaient chargés du culte de Lucifer et le trahissaient ? Mais celles qu'il n'avait aucunement prévu étaient Belphégor et Asmodée. La première étant sous les ordres de Léonard mais ayant toujours été loyale à Lucifer. Morte à dix ans, il l'avait transformée en démone et la traitait comme sa fille ou sa soeur au choix. Comment osait-elle ? Et Asmodée, surintendante des maisons de jeu. Les casinos de Las Vegas l'amusaient bien à l'époque. Que faisait-elle dans ce complot ? L'ennui l'aurait-elle conduit à ce genre l'absurdité ?

ー On veut parler de la guerre contre les anges, cria Baal d'une voix forte. Mais il faut d'abord que l'on règle nos comptes. Je ne supporterai pas de me battre avec des traîtres.

Quelle idée aussi de leur retirer leurs pouvoirs et de les laisser se promener ? Ils auraient dû partir au tartare sur-le-champ.

Mais Pan arrêta bien vite de juger la manière de faire de son empereur lorsque la blonde fit sortir son épée.

ー Ceux qui ne me suivent pas, je les compterai aussi comme des traîtres.

Elle avait utilisé sa voix glaciale et nul doute pour dire que ni Pan, ni Lilith et encore moins Astaroth n'avaient envie d'avoir des problèmes avec cette démone. Pan dégaina son sabre à double tranchant tandis que son amie faisait sortir sa dague et la droguée, sa hache. Le serviteur d'Ana n'eut qu'une pensée lorsqu'ils commencèrent à roder autour de ces traîtres.

J'espère qu'elle est assez sobre pour se battre.

Car il n'était pas prêt à se retrouver la tête tranchée, juste à cause un coup de hache.

Sweet Tears (En Pause)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant