Chapitre 2

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Chapitre 2

J'ai demandé à ma mère d'attendre la fin de mon année scolaire pour aller vivre chez ce géant roux de Cameron. Plus pour reculer l'échéance, que pour l'école ou mes soi-disant copains de classe !

Je n'aime pas cet homme. Il est gigantesque, une grosse barbe aussi rousse et frisée que ses cheveux. Un écossais pure souche, avec le kilt en prime et qui parle Scot avec exagération, tout comme il accentue le roulement des R, si courant chez les écossais ! Je ne sais pas ce que trouve ma mère à ce barbare ! Il est à des milliers de kilomètres du physique de mon père ! Châtain, taille moyenne, yeux marron, langage plutôt soutenu pour un ouvrier d'usine.

Pour couronner le tout, la seule chose que pourra m'apprendre ce borb (barbare), sont des vulgarités, et l'histoire de son pub, qui était, il y a des années, un bordel réputé !

Vivre avec lui me désespère, ma mère m'attriste, elle en est tellement amoureuse qu'elle en devient égoïste. Elle ne le quitte pas, le regarde comme s'il s'agissait du Roi d'Ecosse ! Le roi des sauvages oui !

Il rit si fort que tout le quartier doit l'entendre, très distingué ! Je l'ai vu plus d'une fois mettre la main aux fesses de serveuses ou de fidèles clientes.

Depuis notre emménagement au dessus du pub, qui, je l'avoue est très beau, tout comme l'appartement, je reste cloitrée dans ma grande chambre. Les revenus de ma mère me permettent de m'acheter des livres, alors j'en profite pour continuer, seule, mon apprentissage du gaélique, lire de nouvelles histoires et même, depuis quelques temps, écouter de la musique. Celtique essentiellement, écossaise le plus souvent, des voix féminines qui me transportent dans mes rêves de beaux Highlanders, forts et courageux qui se battent pour leurs peuples ou leurs femmes.

Je vis de plus en plus en autarcie depuis que nous habitons au dessus du Seamrag Pub (le pub du trèfle). L'école ne me passionne pas, je fais juste ce qu'il faut pour ne pas décevoir ma mère, sans plus. J'ai de plus en plus d'idées noires, tout comme mes vêtements ! Moi qui aimais m'habiller en petite fille, depuis notre arrivée chez Cameron, je ne me reconnais plus !

Aujourd'hui j'ai 20 ans, m'habille de jeans ultra moulants noirs, de Doc Martens, noires bien sûr et mes cheveux longs noirs sont devenus un carré plongeant court. J'ai l'air d'une rebelle, que je suis peut être au fond de moi. D'ailleurs pour faire comprendre à ce rustre de Cameron, que je n'appartiendrai jamais à son "clan", je me suis fait tatouer au creux du dos de la main, le médaillon de famille de mon père ! Une licorne (symbole de l'Ecosse), entourée de nœuds gaélique !

Je suis de plus en plus solitaire, l'air pas toujours commode alors que je suis juste dans mes pensées et que le monde qui m'entoure ne me captive pas réellement. Rien ni personne ne m'intéresse.

Personne ne connaît réellement la vraie Eireen aujourd'hui, même pas ma mère. Qui s'occupe toujours plus de son homme que de sa fille ! Si elle savait comment son homme, me dévisage, maintenant que j'ai des formes ! Il me dégoûte, je l'évite autant que je peux. Lui me frôle, me cherche, me reluque de ses yeux salaces, cherche tous les moyens pour se retrouver avec moi le matin quand je m'habille. Si j'avais le courage de mes héroïnes, je lui planterais un coup de couteau dans le cœur, pour en finir. Bizarrement ma mère ne se rend compte de rien. Il faut dire aussi que cet hypocrite de Cameron, joue le gentil beau-père devant sa Elinor, folle amoureuse!

Ce matin justement il reste avec moi, pendant que ma mère ouvre le Pub. Je l'évite comme d'habitude, il parle au téléphone avec un ami, il lui raconte ses parties de jambes en l'air avec ma mère hier soir ! Horripilant ! Je préfère retourner dans ma chambre et ne pas finir mon petit déjeuner. Quand je passe devant lui, il éclate de rire surement pour une blague bien déplacée. Totalement exaspérée par ce comportement, je passe devant lui en levant les yeux au ciel. Je n'aurais jamais dû! Il passe son gros bras autour de ma taille, raccroche le téléphone et colle sa bouche tout contre mon oreille. Son gros corps, qui devient un peu gras, collé contre le mien plutôt maigre.

— Un jour je t'aurai, Banfhlath.

Son autre main frôle mon ventre, je n'ai pas peur, plutôt écœurée. Quand un de ses doigts effleure le début de mon sein, je lui écrase de toutes mes forces son pied de ma grosse chaussure. Il me lâche, en m'insultant, pendant que j'attrape ma veste et sort en courant dans la rue.

Je cours un moment les larmes aux yeux. J'aurais aimé être plus forte et me venger plus violemment. Je cours, cours à en perdre haleine, je veux retrouver ma vie d'avant, je veux mon père surtout.

Essoufflée, en larmes, je m'arrête devant un petit passage voûté, sombre et ancien, presque effrayant, comme il y en a beaucoup dans Edimbourg. Bizarrement je me sens attirée par celui-ci, le Fairy Close. Toujours le cœur au bord des lèvres, je m'avance prudemment, le cœur battant. Oublié mon obsédé de beau-père, ce passage m'appelle, je le sens au plus profond de moi. Une sensation étrange, jamais ressentie. Comme si ces pierres pouvaient parler. Les histoires de mon père doivent me hanter ! Ou alors ma nouvelle vie me rend folle ? Je reste un instant devant cette entrée intrigante, à essayer d'apercevoir ce qui se cache au fond de cette Close. Quelque chose bourdonne dans ma tête, comme si quelqu'un m'appelait au loin, très loin. J'ai beau savoir ce qu'est le courage, dans les livres oui, tout de suite je n'en mène pas large. Mon père m'appelait souvent sa petite neònach (curieuse), je voulais tout connaître encore et encore. Des histoires romantiques aux plus effrayantes, j'aimais toutes les histoires. Celle qui se trouve au bout de ce tunnel vieux de plusieurs siècles, m'empêche un peu d'être neònach !

Allez Eireen, pense à tes héroïnes, à la toute première dont papa t'avait parlé, Molly Whuppie, qui sauva ses sœurs d'un ogre. Je n'ai plus l'âge pour ce genre d'histoire, ni pour Rebelle, mais dans cet endroit mystérieux, je me sens redevenir une petite fille avide d'histoires extraordinaires. Celles qui me plongeaient dans une autre vie, pour oublier la mienne ! Pourquoi ai-je cette sensation ? Un instant, je regarde dans la rue derrière moi, comme pour considérer mon existence, une petite grimace de dégoût monte sur ma bouche. Tout est clair, plus rien ne me retient ici, alors je fonce, et avance prudemment, inquiète et excitée. Et si au bout se trouvait la vie que j'espère et rêve en secret depuis mon enfance ?

BanfhlathOù les histoires vivent. Découvrez maintenant