Chapitre IV

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Les rues ternes sont calmes dans la fin du jour, et il me semble que l'atmosphère se refroidit à chaque pas. Je perçois nos souffles réguliers projeter des nuages blancs sur le bitume, trempé par les dernières pluies.

Jimin, en tête pour me guider, me tient toujours par la main, ce qui n'est pas pour me déplaire. Je souris rien qu'à la vue de ses cheveux roses voletant au rythme de notre marche rapide. Il ne dit rien et je pourrais être gênée, voire inquiète, mais je me sens rassurée.

Je me suis sortie de cette situation désagréable dans laquelle je m'étais plongée sans le savoir, pour me retrouver aux côtés d'un garçon, qui m'a invitée ! C'est la première fois de ma vie. Il n'a pas mauvaise réputation au lycée, mais je préfère tout de même rester sur mes gardes.

Une drôle d'odeur flotte dans l'air, et je me demande si ce ne serait pas à cause de l'humidité remontant de la terre, ou des nombreux détritus jonchant la route.

Je frissonne et Jimin se retourne :

« Ça caille, hein ? lance-t-il, avec un petit sourire en coin. »

J'acquiesce, car je ne sais pas trop quoi faire d'autre. Je jette un œil à ma montre : il est déjà sept heures moins le quart.

De toute façon, personne ne m'attend chez moi. Parce que je n'ai personne dans ma vie.

Je secoue la tête. Je suis pathétique.

Je commence à m'impatienter. On va déambuler encore longtemps entre ces habitations aux murs froids ?

Soudain, j'entends, au loin, un bruissement suivi d'un cri perçant, et je sursaute. Cette endroit me file la chair de poule.

Jimin ricane tout en me tapotant l'épaule :

« Ne t'inquiètes pas, Leslie, il ne va rien t'arriver, fit-il, les yeux rieurs. Ce n'est qu'un oiseau qui s'envole. »

Je relève le menton. Je n'ai pas l'intention de passer pour une trouillarde. Je repère effectivement un corbeau aux ailes de jais se poser sur une ligne électrique et me détends.

« On est bientôt chez moi, me prévient le jeune homme, le visage doux. »

Je cligne des yeux en guise de réponse. Je ne me sens pas très à l'aise pour dialoguer avec des gens de mon âge.

« Pas très bavarde, commente Jimin, en détournant les yeux. »

Il tourne au coin d'une rue tout aussi insalubre que les précédentes. Je suis totalement larguée et m'interroge sur ses capacités à s'orienter dans un quartier pareil. Je suis impressionnée.

C'est alors que mon guide s'arrête au pied d'un immeuble, beige passé et assez imposant, dont les façades sont fissurées par endroits. J'espère hautement que son appartement ne sera pas aussi défoncé.

« Je reviens tous les week-end chez mon père, m'apprend Jimin, les bras ballants après m'avoir lâché la main. »

Je sens encore la chaleur de sa peau contre la mienne et regrette ce contact plaisant. Je suppose que ses parents sont divorcés et tente donc de dévier la conversation :

« Et... il voudra bien m'accueillir ? m'enquis-je timidement.

-Oh, ne t'en fais pas. Il est souvent... occupé ailleurs, répond-t-il précipitamment, et il sera absent ce soir. »

Je hoche la tête en signe de compréhension pour éviter une embrouille, même si je n'ai pas très bien saisi le sens de sa phrase.

« Souvent occupé ailleurs » ? Que veut dire Jimin ? Un père doit normalement être présent pour subvenir aux besoins de son fils, non ? À moins qu'il travaille beaucoup. Mais dans ce cas-là, pourquoi le jeune homme ne l'a pas précisé ?

Je décide de repousser mes interrogations à plus tard, puis m'engage dans l'entrée car Jimin a ouvert l'imposante porte de fer, après avoir inséré un code.

Je suis obligée de ramener mes bras contre ma poitrine en pénétrant dans l'immeuble. C'est une vrai glacière là-dedans, encore pire que dehors.

Il n'y a personne au guichet. Ce quartier est abandonné ou quoi ?

Je cherche le sourire réconfortant de Jimin, un peu oppressée, et me colle à lui sans le faire exprès.

Il n'y a pas d'ascenseur ici, c'est pourquoi nous nous engageons dans une longue montée de marches constellées de chewing-gums. Les murs sont jaunis et tâchés par le temps, et je fais la grimace quand un courant d'air froid me traverse. Je me retourne vers sa source et constate qu'il provient d'une petite vitre brisée sur ma gauche.

Jimin grimpe avec assurance et vitesse, ce qui fait que je suis un peu distancée. C'est sûrement un bon sportif.

Je commence à en avoir marre quand nous nous arrêtons enfin sur un petit palier, baigné d'une lumière orangée qui réchauffe cette ambiance morbide. Le garçon sort ses clefs dans un cliquetis métallique, pour les insérer sur la dernière porte de bois du fond. Il ouvre lentement le panneau en me souriant :

« Bienvenue chez moi. »



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