249ème jour

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Il regarde sa tasse de café sans la voir. Sa jambe lui fait mal mais il n'est pas sûr que ce soit vraiment ses muscles. C'est le stress, c'est l'appréhension, c'est le fait qu'il soit dix-sept heures quarante-trois et qu'il est déjà là, assis au café en face sa librairie. Son pied droit frappe le sol carrelé de manière frénétique, il a le cœur qui bat dans la poitrine, les pensées qui s'entrechoquent et la sueur qui commence à perler.

_Tu réfléchis trop, Louis, annonce alors Gwen, qui est assise en face de lui pour lui tenir compagnie.

_Je sais.

_Et pourtant tu continues.

Et pourtant il continue. Il sort son téléphone de sa poche et contemple sans ciller le dernier message qu'il lui a envoyé. Il relit les mots qu'il connaît par cœur et qui n'ont reçus aucune réponse. Harry a désactivé son profil twitter et supprimé ses deux comptes facebook. Louis ne sait plus quoi dire ou quoi faire et se demande s'il est en train de rêver. Pourtant ce qui lui arrive est bien la réalité et aucun élément de résolution ne viendra le sauver ; aucune bonne fée marraine avec sa baguette d'argent ni aucun preux chevalier en costume étincelant. De toute façon, le sien a disparu, son chevalier s'est fait la malle, c'est lui qui a fuit, c'est lui qui perturbe l'histoire. Mais il refuse d'y croire et il secoue la tête.

_Il va venir. Il a dit qu'il viendrait.

Sa voix ne tremble pas malgré le trouble qui le secoue et Gwen soupire mais hoche la tête avant de se redresser.

_Je serais aux Mots alors, si tu as besoin.

Elle fait un pas vers la sortie et se tourne une dernière fois. Louis est déjà en train de faire défiler quelque chose sur l'écran de son téléphone, et elle s'éclipse après un dernier coup d'œil inquiet.

Nouveau SMS pour Harry :
15:23✉ Si tu ne viens pas, on s'arrête là. Je ne cherche pas à te mettre la pression mais tu dois comprendre que je ne peux pas continuer comme ça. Harry... je ne vais pas attendre après toi toute ma vie. Je t'aime, mon dieu je t'aime, je ne sais pas si je te l'ai déjà écrit. Je t'aime. Mais j'en ai marre de te courir après. J'en ai marre parce que je ne peux pas courir. Je ne peux plus.

Il n'en envoie pas d'autre, il ne demande pas s'il est bien dans le train et s'il vient bien ; il ne supporterait pas une répétition ironique de la dernière fois. Il ne supporterait pas de voir son écran de verrouillage lui réfléchir son reflet noyé dans le vide des nouvelles notifications. Il n'envoie rien et jette un coup d'œil à l'heure. Il est dix-sept heures cinquante. Il repense à ce qu'Harry lui a écrit, à ce qu'il lui a avoué, au fait qu'il était caché derrière un banc à Londres et qu'il était perdu dans ses pensées. Il repense à cette sensation d'euphorie qui lui prenait aux trippes et lui tordait délicieusement l'estomac, aussi violement qu'elle lui faisait tourner la tête. C'est drôle parce qu'à ce moment précis, malgré la peur qui le ronge, malgré la douleur acide des doutes qui pèsent au dessus de sa tête, il arrive à les sentir : ces frissons d'excitation. Il n'arrive pas à les réprimer et il ferme les yeux. Il vérifie l'heure.

Dix-sept heures cinquante neuf.

Il jette un œil à la vitrine du café alors qu'il s'était promis de ne pas le faire mais il ne voit rien. Il prend une respiration et avale une gorgée de thé chaud. Il est moins bon que le sien mais ça lui convient. Il souffle. Il n'est pas encore en retard.

Il va arriver.

Il le sait. Harry ne le ferait pas deux fois. Il ne l'abandonnerait pas. Son esprit s'embrouille et son ventre se tord. C'est comme s'il était saoul bien qu'il ne connaisse pas la sensation. Il tangue sur un trottoir de béton, la bouteille à la main et les paupières closes. Il est dix-huit heures trois.

Poisson chatOù les histoires vivent. Découvrez maintenant