Chapitre 8 : Douleur

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L'odeur de la pluie emplit mes narines. Elle coule sur mon visage glacé et mes vêtements froissés. Cirice se tient à me côtés et le froid la fait claquer des dents. Je suis un peu ailleurs, noyant mes pensées dans les nuages gris et toujours gorgés d'eau. D'un coup, le vent souffle violemment sur les feuilles des arbres autour de nous, et Cirice se met à pleurer. Ses sanglots sont silencieux mais brisent le calme oppressant de la forêt. Je descends de ma valise, l'ouvre et en sort un pull noir que je lui tends. Elle le prend en reniflant et une fois le vêtement enfilé, je me serre contre elle et lui caresse doucement le bras. Elle pleure pendant de bonnes minutes et quand ses yeux ont assez versé de larmes, c'est au tour de sa voix de briser le silence :

- Pourquoi ?

Un seul mot, qui pourtant éveille en moi de forts sentiments. À ce moment, je me sens proche d'elle, bien plus que ce que je n'aie pu ressentir auparavant. Je comprends le sens de ce mot, comme si je lisais dans ses pensées. Comme si nous ne faisions qu'un.

- Parce que c'était la meilleure façon de te protéger.

La terre et les brindilles semblent se taire pour nous écouter. Cela fait deux jours maintenant que la nature est la seule à nous tenir compagnie. Contre toute attente, je me plais dans cette tranquillité. Cirice, elle, n'est pas du même avis, comme le prouvent ses pleurs. Je la serre plus fort contre moi et j'espère secrètement que ma présence l'apaise. Ses derniers jours m'ont appris une vérité que j'ignorais  : seule Cirice compte à ma vie. Avant de la connaître, je n'étais que coquille vide d'amour, un corps empli de haine. Il a fallu que l'on soit seules pour que je m'en rende compte, mais maintenant, je sais qu'elle est le miracle que j'attendais.

- J'ai faim, renifle-t-elle.

J'ouvre une nouvelle fois ma valise et lui sors une gaufre, un reste du peu de nourriture que nous avons volé dans une supérette le jour suivant notre fugue. Elle soupire et se plaint.

- Je vais mourir de faim avec ça.

Je ne réponds pas et fixe encore et toujours le ciel. La lune est haute au-dessus de nos têtes. Je profite de ce moment, hume l'odeur de la nuit, les bruits légers de feuilles soulevées par quelques animaux, Cirice dans mes bras. Puis, tout un coup, quelque chose se passe. Cirice n'a pas bougé ni parlé, pourtant je sens que quelque chose en elle a changé soudainement. Je me mets devant son visage, essayant de voir à travers la noirceur de la nuit ; ce sont les rayons crépusculaires qui me renvoient l'image d'une Cirice les yeux grands ouverts. Je la secoue légèrement mais elle ne réagit pas. Je recommence, plus fort cette fois-ci, et ses pupilles bougent d'un coup vif vers mon visage. J'ai un mouvement de recul.

- Cirice, est-ce que ça va ?

Plusieurs secondes s'écoulent avant qu'elle ne dise :

- Je me sens mal ici, je veux aller ailleurs.

- Où ça ? je demande.

- Plus loin, dans la forêt.

- Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée... je commence à dire, mais elle me coupe.

- Fais-moi confiance.

Elle me prend la main et se lève. Je l'imite, un peu surprise, mais je remballe vite cette émotion : après tout, plus nous nous enfonçons loin dans la forêt, plus nous avons de chance de nous perdre pour toujours, juste elle et moi. Je souris à cette idée : peut-être pense-t-elle la même chose que moi. Nous nous éloignons progressivement de la valise et du reste du monde.

Au bout de quelques minutes, le froid de la nuit nous enveloppant toutes entières, nos doigts entremêlés, Cirice s'arrête, le visage dirigé vers le sol. J'arrête mes jambes et le regarde. Elle reste figée mais je ne réplique pas. Je suis occupée à observer quelques arbres au loin quand soudainement, elle se met à bouger, un geste brusque et rapide, et je tombe à terre. J'essaye de l'apercevoir mais la forêt est trop sombre. La seule chose que je distingue est une silhouette, debout devant moi, ses yeux blancs se reflétant dans l'obscurité.

- Cirice ? je l'appelle, mais seule sa respiration me répond.

Elle fait deux pas pour se placer contre mes mollets. Elle se penche vers le bas, et je remarque que son corps semble lourd. Les feuilles du sol bougent. Elle lève les bras vers le ciel et se met à hurler de toute son âme.

La pierre atterit en plein milieu de mon ventre. Je gémis de douleur. Elle se baisse encore une fois, reprend la pierre et continue à me lapider.

La tête me tourne. Je me sens crasseuse et humide, surtout mon visage, et je ne sais si c'est à cause de la pluie ou de mes larmes. Cirice continue de me meurtrir tout en criant comme une folle. J'ouvre la bouche et entre deux bruits d'os cassés, je souffle :

- Pourquoi ?

Le monstre et l'angeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant