Chapitre 4 : S'affirmer

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Le lendemain, je suis contente de me lever. Je ne mets pas beaucoup de temps pour me rendre à la salle de bain. Ma robe est posée sur le haut de la machine à laver accompagnée des collants. J'enfile les deux rapidement puis me tourne plusieurs fois devant la glace. C'est peut-être un peu narcissique, mais je suis vraiment belle dedans. Je remarque que la couleur du vêtement est la même que celle de mes lèvres, ce qui accentue la beauté qui émane de ma silhouette. Soudain, un éclair de génie me passe par la tête. Je me dirige vers le placard, cherche pendant quelques secondes et en sors finalement une petite trousse rosée. Je prends le haut de mes cheveux et fais deux petits chignons,  qui trônent sur mes cheveux lâchés.  À la fin, j'irradie de blancheur aveuglante et de rouge écarlate. Je fusille mon reflet des yeux, pleine d'assurance. Quand je descends, mes parents se retournent instantanément, comme si ma détermination les attirait. Ma mère fronce les sourcils, mon père, lui, est abasourdi et comme d'habitude, c'est lui qui entame la discussion.

- Tu n'as pas cours aujourd'hui ? dit-il, d'un ton cynique.

- Bonjour, papa, je réponds, et à ce moment je me trouve insolente, alors je décide de ne pas abuser. Oui, j'ai cours aujourd'hui. Je me préparais justement à y aller, je balance en enfilant mes chaussures. Bisous, à ce soir !

Je claque la porte sans attendre de réponse et m'engouffre dans le vent froid. Je suis en manches courtes, j'ai la chair de poule mais ça ne me fera pas reculer pour autant. C'est fière et puissante que je me pointe à la porte de Cirice. Je veux frapper mais je remarque une sonnette sur le côté droit. J'écrase le doigt dessus et attends. La porte s'ouvre à la volée, ce qui me fait reculer. Cirice se dépêche de sortir. Elle veut fermer la porte mais un pied intérieur la bloque. Elle baisse la tête et je la regarde, incrédule. Je regarde l'entrée de sa maison. Dans la pénombre se tient l'homme que j'avais aperçu à la fenêtre. Maintenant, j'en suis sûre, c'est son père. Il me détaille des pieds jusqu'à la tête, et il n'a l'air de n'exprimer aucune émotion. Je lui souris, joue l'innocente.

- Bonjour monsieur, je suis Haatlae, une amie de votre fille, Cirice.

Il m'examine, les yeux plissés, sans prononcer un seul mot. Je regarde tour à tour Cirice et son père. Elle reste la tête baissée, ose à peine bouger. Et comme toujours, l'ambiance autour de cette maison est énigmatique. Je cherche mentalement comment m'en aller d'ici quand une voix grave s'élève :

- À ce soir, Cirice.

- À ce soir, père, répond mon amie et elle s'en va, les yeux toujours rivés sur le sol.

Son père referme doucement la porte sans me quitter des yeux. Une fois fermée, j'hausse les épaules : Cirice m'a dit que ses parents étaient très protecteurs avec elle, alors je ne m'inquiète pas davantage. Je suis surprise quand elle m'attrape le bras et m'oblige à me tenir face à elle :

- Mais t'es folle ou quoi ?

- Qu'est-ce que j'ai fait ? je demande, commençant à être mal à l'aise dans cette robe.

- Qu'est-ce que tu as fait ? répète-t-elle, la colère dans la voix. Tu te fous de moi ? T'as vu dans quelle tenue tu te présentes devant chez moi ?

- C'est quoi le problème ? Je te rappelle que t'as acheté la même chose que moi, je balance, légèrement agacée.

- Et je te rappelle également que si je t'ai demandé de garder la mienne, ce n'est pas pour rien.

Elle parait désespérée à la fin de sa phrase. Je me sens mal et honteuse, surtout. Je joue avec mes doigts, gênée.

- Je t'ai dit que mes parents étaient très protecteurs, insiste-t-elle.

- Je suis désolée, je dis, d'une petite voix. 

Je regarde mes pieds et je me sens comme une petite fille. Le silence flotte autour de nous. Cirice finit par me prendre dans ses bras et je la serre moi aussi. Elle soupire et lance :

- Allez, on va en mettre plein la vue à tout le monde !

 Après qu'elle se soit changé dans les toilettes des filles, nous commençons la journée avec une heure de mathématiques. Le professeur nous regarde, Cirice et moi, mais n'ose pas dire quelque chose. Les élèves de la classe chuchotent autour de nous. Certains rigolent, d'autres arborent une mine choquée. C'est lors de la deuxième heure, en français, que les choses changent. La professeur ne nous laisse pas entrer dans la salle et nous oblige à aller expliquer notre comportement dans le bureau de la directrice. Nous ne protestons pas et y allons. Bizarrement, je me sens bien. J'ai l'impression qu'enfin, je m'affirme. Après toutes ces années à lutter entre l'indifférence et les insultes, la reconnaissance me tend les bras, et je m'y loge sans hésitation.

Pour voir la directrice, nous devons d'abord passer par la vie scolaire. Quand nous entrons, quatre regards se tournent vers nous. Elles ne disent rien, mais je vois bien qu'elles se retiennent le plus possible. Nous disons à une ce que nous venons faire ; elle appelle la directrice avec un téléphone fixe, raccroche puis nous indique la salle et le chemin pour s'y rendre. Arrivées devant le bureau, Cirice frappe à la porte. Une voix féminine se fait entendre.

- Entrez.

Cirice ouvre la porte et dit bonjour ; je la suis. Nous prenons place sur les chaises juste devant le bureau de la directrice et là commence notre remontrance.

- Je ne vais pas y aller par quatre chemins, mesdemoiselles. Les tenues que vous portez ne sont pas des tenues adaptées pour un établissement scolaire. Vous êtes très jolies dedans, mais ce n'est pas une raison pour venir étudier avec, nous dit-elle avec un grand sourire. Elle a l'air tout sauf méchante, ce qui me rassure un peu. Elle poursuit :

- Malgré tout, je me dois de vous renvoyer pour aujourd'hui et bien évidemment, de prévenir vos parents. Je ne vous mettrai pas d'avertissement, mais ne revenez pas comme ça demain, d'accord ?

Nous acquiesçons, un peu sonnées de cette gentillesse dont nous ne pensions pas avoir droit. Elle nous raccompagne à la grille du lycée et nous dit au revoir.

Nous reprenons le chemin emprunté une heure et demi plus tôt. Comme d'habitude, elle s'arrête avant de s'engouffrer dans sa rue.

- Bon, au moins, on aura essayé, dit-elle. Pas la peine que je me déshabille, vu qu'ils vont être au courant, ajoute-t-elle. 

Elle semble lasse.

- Je suis désolée, je n'aurais pas...

- Arrête de t'excuser tout le temps, me coupe-t-elle. J'en viens à penser que tu t'excuses d'exister.

- C'est le cas depuis des années, je l'informe.

Elle ne dit rien, alors je relance la discussion.

- Mais, ne t'en fais pas pour tes parents. Ils ne vont pas être horribles juste pour une robe. Je suis sûre qu'au pire des cas, tu vas être privée de... 

Je m'arrête. J'allais parler de téléphone, mais je ne l'ai jamais vu avec.

- Tu as un téléphone ? je demande.

- Non. Et si je pensais en avoir un, je peux faire une croix dessus.

Au moment où elle prononce ce dernier mot, un éclat passe sur le bijou argenté dans le cou de mon amie. Ce qui est bizarre, parce que les nuages sont trop nombreux pour que le soleil apparaisse. Je choisis d'ignorer et de poursuivre.

- Bon. Alors, tu ne seras privée de rien du tout. C'est plutôt une bonne nouvelle, tu trouves pas ?

- Oui, fait-elle, d'une petite voix.

Et elle s'en va, sans rien ajouter. Je décide de ne pas trop m'en occuper et retourne chez moi. Je rentre les clefs dans la serrure et je sursaute une fois la porte ouverte, alors que mon père se trouve droit debout devant moi :

- Papa ! Tu m'as fait peur ! Pourquoi tu n'es pas au travail ? je demande, tout en remarquant que maman est là aussi.

- Pour la même raison que toi, tu n'es pas au lycée.

Et ma mère, les mains autour de sa tasse fumante, ajoute :

- On doit parler, Haatlae.

Le monstre et l'angeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant