Chapitre 7 : Partir

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Je reste abasourdie devant cette révélation. Le prénom de mon amie signifie... église ? Comment peut-on idolâtrer la religion au point de choisir un bâtiment sacré comme prénom pour son enfant ? Je revois le visage de son père, ses mimiques et ses regards remplis de sous-entendus. Sans oublier le bleu de Cirice, la peur qu'elle ressent devant chez elle, sa façon de me crier dessus comme si elle risquait sa vie. Mon cerveau fait rapidement le lien. Mes doigts se crispent sur le siège de ma mère, et je sens la colère mais aussi la culpabilité serrer mes entrailles, jusqu'à en devenir douloureux. Je ne retiens pas ma langue et assène :

- Cirice n'est pas en sécurité là-bas.

Dans le rétroviseur, ma mère fronce les sourcils.

- Comment ça ? me questionne cette dernière.
- Elle n'est pas en sécurité, je répète. À chaque fois que je la ramène chez elle, elle attend toujours que je sois partie pour ouvrir la porte. La dernière fois, en cours, j'ai vu un bleu sur son épaule. Un gros bleu.

Je parle vite, sans réfléchir. Tout me vient en tête mais surtout, tout me semble évident, et je sens le désir brûlant de tout balancer, de dire la vérité.

- Plusieurs fois, j'ai vu la peur sur son visage, quand j'ai voulu parler à ses parents. Je n'ai jamais pu m'excuser pour cette histoire de robe à cause de ça. Et puis aussi...

- Ça ne tient pas la route, me coupe ma mère. Quand Cirice nous a invité, elle n'avait pas l'air d'avoir peur, au contraire.
- Mais si elle était manipulée par son père ? Sérieusement maman, tu as bien vu à quel point ce qui s'est passé tout à l'heure n'était pas normal. Son père semble... malsain.

Ce mot prononcé, ma mère se retourne comme un diable, les traits déformés par la colère :

- Tais-toi tout de suite Haatlae ! Ce que tu dis n'a aucun sens, d'autant plus que tu te permets de juger à la tête de ce monsieur. Maintenant, je ne veux plus t'entendre parler de cette famille.

Je ne dis rien, la regarde, choquée une deuxième fois dans ce court laps de temps. Puis, comme pour ne rien arranger, elle m'annonce :

- Je t'interdis de revoir Cirice.

Le choc me fait rassoir au fond de mon siège. J'ai l'impression d'avoir reçu une énorme claque. Je fixe mon père, sans rien dire, espérant qu'il proteste, ce qu'il tente de faire.

- Allons, ne sois pas si sévère...

- Je ne suis pas sévère, déclare-t-elle, sans rien ajouter.

Mon père baisse les armes et place toute sa concentration sur la route. Xénon prononce des mots que lui seul comprend et tend les bras vers moi. Je commence à lui caresser ses petits doigts quand ma mère hurle presque :

- Et arrête de t'occuper de Xénon !

*

C'est officiel, ma mère me déteste. Je suis de retour sur mon lit, les larmes collant sur mes joues. J'essaye de m'arrêter de pleurer mais rien n'y fait. Je me redresse sur le lit. J'ai mal à la tête à force de pleurer. Soudain, mes émotions se cognent à l'intérieur de moi et sous tout ce chaos incessant, ce qui me semble être ma conscience me crie :

- Va-t'en !

Sans attendre plus longtemps, mes jambes me portent vers mon placard. Je l'ouvre en grand et en sort ma valise, essayant de me faire le plus discrètement possible, malgré le bruit résonnant dans ma tête. Je jette tous mes vêtements dedans et après avoir quelque peu hésité, je me déshabille et enfile la robe rouge avec ses collants. J'aimerais prendre mon maquillage avec moi mais mes parents dorment, et je ne veux pas risquer de les réveiller en allant dans la salle de bain. Une fois ma valise terminée, je la boucle. Je balaye ma chambre du regard. Une fois que j'ai vérifié n'avoir rien oublié, je passe le plus doucement la porte. Je vois celle de la chambre de mon petit frère ouverte et ne peux m'empêcher de passer devant. Il dort à poings fermés. Je le fixe et lui parle mentalement. Je suis désolée de te quitter, mais je suis obligée. Tu seras en sécurité avec papa et maman. Je t'aime Xénon.
Et une fois ma phrase achevée, dans la pénombre de la nuit, dans le silence de la maison, mon petit frère ouvre grand les yeux. Je suis prise de surprise mais aussi de peur. Il tourne la tête vers moi, et je suis sûre que s'il avait pu, il se serait levé. Il ouvre la bouche et avant qu'un son ne sorte de sa gorge, je mets un doigt devant ma bouche, signe qu'il se taise. Il referme aussitôt la bouche et c'est stupéfaite que je tourne les talons.

Néanmoins, arrivée en bas, j'oublie cette histoire et me concentre pour enfiler mes chaussures et mon manteau. Je tourne la clé le plus discrètement possible et passe la porte de la même façon. Une fois dehors, je cours, les roues de ma valise emplissant la rue déserte de leur bruit. La nuit est tombée depuis un bon bout de temps maintenant, alors je repère ma route grâce à la lumière des réverbères qui donne une allure fantomatique à la rue. C'est essoufflée que j'arrive à destination : la maison de Cirice. Je récupère ma respiration tout en me demandant comment faire venir Cirice sans réveiller son père. J'observe par la fenêtre pour me donner des idées, et mon miracle se trouve dans la cuisine, un verre d'eau à la main. Je tape à la fenêtre, un peu fort à mon goût. Elle sursaute, se retourne et je lui fais signe de la main de venir. Elle pose son verre et une minute plus tard, la porte s'ouvre devant une Cirice surprise.

- Qu'est-ce que tu fais ici ?

- Prépare-toi.

- Me préparer pour quoi ?

- On s'en va, j'assène.

Elle a l'air de se poser mille questions, alors pour faire avancer les choses je dis :

- Va chercher ta robe.

Elle croise les bras.

- Je ne l'ai plus.

- Quoi ? je fais.

- Mon père l'a brûlée.

Cette révélation me vexe plus que ce que j'aurais cru. Je baisse mon regard sur la mienne et je me sens idiote. Comme souvent avec Cirice. Mais moins qu'avec les autres, je réponds à ma conscience.

D'un coup, j'entends le bois grincer et fendre le calme de la nuit. Cirice se tourne et nos regards convergent au même point. L'adrénaline se met doucement à couler dans mes veines. Son père descend une marche. Je lui empoigne le bras et la tire vers moi.

- On s'en va !

Ni une ni deux, Cirice se met à courir avec moi. Son père sort en trombe de la maison mais ne crie pas, ne parle pas, et n'essaye pas de nous rattraper. Cirice et moi courrons ensemble, moi en tenue de soirée, elle en pyjama, et je sais que le monde nous appartient.

Le monstre et l'angeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant