Chapitre 10 : Elle n'est jamais partie

12 5 0
                                    


- J'étais à terre, ma vue était brouillée par mes larmes et la douleur, mais je les ai quand même vus arriver, attraper Cirice comme si elle était folle et...

Je laisse ma phrase en suspens, le souvenir continuant à se jouer dans ma tête. J'ose à peine regarder Louise, j'ai peur de ce qu'elle va penser de moi. J'ai la gorge nouée, les mots restent coincés au fin fond de ma gorge. Elle le remarque, se rapproche de moi et me prend dans ses bras. Je me serre contre elle et je pleure sur son épaule. Au bout de quelques minutes, je relève la tête. Elle passe son pouce sur ma peau mouillée pour essayer une larme.

- Tout va bien ma belle, c'en est fini de Cirice maintenant.

J'acquiesce, même si quelque chose me dit que ce n'est pas la fin. Pour l'instant, je vis sans elle, mais une petite voix lointaine dans ma tête me souffle qu'elle n'est jamais très loin. Louise dit que c'est parce que j'ai du mal à accepter, et j'essaye de la croire.

Je n'exagère pas en disant que Louise m'a sauvée la vie. Elle m'a ramassée à la petite cuillère et a passé des heures entières à me consoler. Je sais que, en sortant d'ici, nous risquons de nous perdre de vue, ce qui me pince le cœur. Mais pour l'instant, pendant que je peux encore profiter de ses bras et de ses sourires apaisants, j'oublie le futur et me noie dans ses yeux émeraude.

Elle s'est tue, me laissant me perdre dans mes pensées. Sans prévenir, je glisse doucement mes doigts sur ses entailles, le long de son bras. Je la sens frissonner mais elle ne proteste pas. Je sais que je suis la seule à pouvoir les toucher. Quand je les caresse, le lien qui nous unit s'amplifie, et je suis sûre qu'elle peut le sentir, elle aussi. Dehors, il pleut averse et les gouttes fouettent violemment la fenêtre. Puis on tape à la porte : c'est Rose.

- Extinction des feux les filles !

Je sens Louise se raidir à l'entente de cette phrase. Je me lève, me met en pyjama, ce qu'elle fait également. Je vais éteindre la lumière et une fois la pièce plongée dans le noir, j'allume la veilleuse sur la table de chevet de Louise. Je me glisse à ses côtés dans le lit, la prends dans mes bras et murmure :

- Avec moi, personne ne te fera plus de mal.

Louise s'endort rapidement, ce qui me persuade que j'arrive à l'apaiser. Je repense à ce qu'elle m'a confiée : dans sa chambre, tard le soir, son père venait lui rendre visite. Il glissait sur elle, lui arrachant un peu plus la raison à chaque coup de reins. Mon cœur se serre à cette pensée. Je me sens stupide de rester plantée là à ne rien faire ;  parfois, j'ai envie d'aller lui régler son compte, de faire quelque chose, d'agir, mais je me ressaisis en me disant que Louise préférerait oublier tout ça. Malheureusement, elle vivra toujours avec la peur de la nuit. Dans le noir et le bruit de l'orage, avec son souffle étonnement calme contre ma peau, je me fais la promesse de rester à ses côtés aussi longtemps que je le peux.

*

Le lendemain, nous sommes mercredi, et qui dit mercredi dit art-thérapie. Comme toujours, sous le pinceau se dessinent les traits fins de Cirice. La semaine dernière, je l'avais peinte en train de sourire, mais aujourd'hui, je ne peux effacer de mon esprit les policiers la prendre à la taille, la soulever en l'air. Elle battait des pieds en hurlant, se débattait comme une folle, si bien qu'à chaque fois que je rejoue cette scène, je ne peux m'empêcher de penser qu'elle irait à merveille dans un asile. Et pourtant. Elle me blessait. Mais ça ne veut pas dire que c'est ce qu'elle voulait.

Le soir, je suis seule dans ma chambre. Louise est encore dans le réfectoire avec d'autres filles, alors j'en profite pour prendre un moment pour moi. Depuis hier soir, l'image de Cirice est omniprésente dans mon esprit, tellement que je n'arrive pas à m'en débarrasser. Soudain, on tape à la porte, ce qui me fait sursauter. C'est Rose. Je lui ouvre et elle me tend une lettre.

- Tiens ! On a reçu du courrier pour toi, me dit-elle avec un sourire.

Je lui prends des mains et ne laisse rien transparaître. Quand elle ferme la porte, je tourne l'objet dans tous les sens. Sur le devant est notée l'adresse de la clinique et mon nom. À l'intérieur de ma tête, six petites lettres dansent, mais je m'efforce de les oublier. Je pose la lettre sur le bureau, me lève. Je fais les cent pas tout en répétant "Ce n'est pas Cirice et je ne veux pas que ce soit elle". Au bout d'un moment, je m'arrête, vais me rasseoir. Je me tais, retiens mon souffle en parcourant les lignes. Je n'entends pas Louise rentrer dans la chambre.

Haatlae,

Tu payeras pour ce qu'il s'est passé dans la forêt. Si tu penses que t'être enfermée dans un asile va résoudre les choses, c'est que tu es une pauvre idiote. Mais ça ne m'étonne pas, je l'ai toujours pensé.

La lettre n'est pas signée. C'est le cœur étouffé de douleur que je fixe le pentagramme rouge dessiné juste en-dessous de ces quelques mots. Au vue de la couleur foncée et à la manière dont la matière tâche le papier, je comprends que les traits ont été tracés par le sang. Directement, mon cerveau projette devant mes yeux l'image de Cirice, les bras ensanglantés, déversant sa haine sur un papier qui m'est destiné.

Le monstre et l'angeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant