Espoir figé

28 9 1
                                    

      Il était étalé sur le sofa, entouré de coussins rassurants formants un cocon de douceur, depuis des heures. Des heures qu'il avait arrêté de compter. Ses iris voyaient passer des images aux couleurs tantôt vives, tantôt sombres, auxquelles il n'arrivait pas à s'intéresser. Il avait essayé, au début, changeant de programme pour tomber sur ce qui éveillerait ses sens. Rien. Plus rien ne trouvait grâce à ses yeux.

Il baissa la tête dans un geste soudain, ses cheveux dissimulaient son front et ses joues. Un rictus peignait ses lèvres fines dans une expression de colère, de frustration ? Il ne savait plus ce qu'il ressentait. Trop longtemps qu'il était posté ici à attendre ce qui ne voulait pas se pointer. À attendre celui qui l'empêchait de sombrer dans les bras de Morphée, celui qui le hantait le jour.

« Jimin, démon. » Les mots se formaient et se déformaient inlassablement dans sa tête. Il ne pouvait pas se cacher indéfiniment de lui. Il n'avait pas le droit. Il ne le peut plus. Pas après ce qu'ils avaient échangé. Le souvenir de ce fichu baiser martelait l'esprit du garçon. Il se remémorait la bouche de Jimin contre la sienne. Ses lèvres comme de la soi, humides un peu. La plénitude de ce geste le tiraillait un peu plus à chaque seconde qui s'écoulait.



     La douleur s'accentuait au fil des pensées se diffusant lentement dans sa cage thoracique. Elle lui coupait la respiration chaque fois que son nom s'invitait dans ses réflexions. Violent, il écrasa son poing dans un carreau, puis un autre. Il se haïssait d'être si faible, si vulnérable lui qui avait enfermé son coeur à double tours.

La frustration avait laissé place à la rage. Une rage à laquelle il se laissait aller, apaisante dans un sens. Il pouvait s'exprimer de nouveau et il n'allait pas se gêner pour le faire. Deux jours c'était long, interminable quand on est victime d'une obsession. Il s'était contenu tout ce temps. Infernal, voilà ce que c'était "infernal". Deux jours qu'il n'avait pas quitté le salon attendant un signe de son colocataire, il n'en pouvait plus. Il était épuisé.

Brusquement il se leva. Brusquement le sang tapait contre ses tempes. Brusquement les mots sortirent de sa bouche.
- Sors de là Park Jimin. Sors ! Le ton avait grandit en même temps que la haine enivrait son cerveau fatigué. Sa main s'écrasa avec violence contre la porte qui le séparait de l'homme qui lui faisait perdre pieds. Arrête de te cacher. Sors ! Il avait hurlé brisant le silence qui l'étouffait. Aucun son ne vint à ses oreilles. Il régnait de nouveau, le silence, l'offusquant toujours plus, l'emprisonnant dans son néant. Son front cogna le mur lourdement. Yoon-gi était haletant, l'animosité coupait son souffle. Jimin lui coupait le souffle.

- T'es né sans couilles ? Sa voix tremblait de fureur. La frénésie l'avait enlever à la bonté, à ses bons sentiments. Il souhaitait heurter son cadet, l'agresser. Il avait compris avec le temps que c'était dans ces cas que Jimin sortait de sa coquille, répondait, agissait. Alors il se déchainait sans contrainte. 
Le fracas de la porte l'abasourdi un instant le figeant, un moment, dans un entre deux mondes loin du brun. Les vibrations contre le mur le ramenèrent durement sur terre. Le vert avait un goût amer dans la bouche lorsqu'il releva ses pupilles sur le visage déformé de son cadet. Il regrettait ses "maux", il regrettait de s'être exprimé, d'avoir laissé ses souffrances crier.



      Ses yeux ne purent s'empêcher de le détailler. Il semblait plus adulte ainsi, énervé, pensa Yoon-gi. Des mèches brunes indisciplinées grignotaient les pupilles étrangement claires et obscures à la fois de Jimin. Le vert ressentait le froid qui émanait de son colocataire à qui il menait le vie dure. Il frissonna.

Des sentiments contradictoires se battaient en duel dans son coeur. Il espérait réchauffer Jimin, lui redonner son sourire si lumineux. Tout comme il voulait sceller sa bouche pour que plus jamais il ne rayonne. Pour que pour toujours il reste cet iceberg qui se tient devant lui et que plus jamais il n'adoucisse les maux d'autrui. Il rêvait de le faire sien autant qu'il voulait qu'il disparaisse. Une solution se dit-il. Son esprit se reposerait, son coeur retrouverait sa douce froideur, cette prison devenue son cocon depuis tant d'années.

Yoon-gi planta ses iris dans les yeux de l'étudiant. Ils se faisaient face en chiens de faïence. Ils se jaugeaient durement, muselant leurs sentiments. Le coeur muet, l'ainé le voyait, le sentait, Jimin lui flanqua son poing dans la mâchoire.



      La « salade » sentit son corps se dérober un peu. Machinalement il porta sa main là où la douleur le lançait moqueuse. Moquerie de celui qui avait planifié une méchanceté mais qui s'était retourner, soudainement, contre soi. Il observait Jimin. Il remarqua ses larmes naissantes, ses traits surpris déformés, ses yeux fixés sur ses doigts comme si il se rendait compte de son acte qu'après coup. Il en était certain, Jimin se blâmait intérieurement. Il était comme ça, doux, impulsif mais loin d'être quelqu'un de violent. C'était ça qui lui avait plu, ça et son air toujours rêveur.

Jimin venait de l'humilier et lui restait immobile. La rage fut remplacée par l'impuissance. Les bras ballants, Yoon-gi se perdait dans le tourbillon des émotions qui affluaient et lui labouraient le cerveau. Il ne regardait plus Jimin, il n'y arrivait plus. Qu'ai-je fait?



      Yoon-gi mit quelques secondes à se rendre compte des mains posées sur ses épaules, courbées par sa mauvaise humeur. Il releva le visage doucement sans réellement savoir pourquoi il agissait : il savait que le voir lui ferait mal comme un second coup. Il semblait paniqué, il le secouait sans vigueur alors qu'un voile de peur traversait son regard. Jimin craignait donc la réprimande. Quel idiot pensa l'ainé. 

Tu saignes. Tu vas bien ? Excuse moi. Je... Le Brun pataugeait dans sa phrase, dans les contradictions qui l'habitaient. Ne voulais pas te blesser.

Le garçon lâcha son colocataire et du bout de l'index releva le menton de Yoon-gi.

Tu m'entends ? Une grimace prit possession des traits du meurtrit. Il repoussa avec violence le plus jeune. Ce dernier ne réagit pas consterné, comme si une partie de lui s'attendait au coup de sang.

Laisse moi. Intima-t-il essuyant du revers de la main un sang imaginaire. Il se détourna. Il s'arrêta sur le seuil avec l'envie de claquer la porte sans y parvenir. Il était las. Lassé de ressentir tant de choses pour Jimin.

Les complications d'une colocation (Wattys2018)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant