XI

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Astraë

- Lâche-moi Astraë, tu es vraiment lourde à la fin !
-Gaya, cela fait depuis l'enterrement que tu n'as pas vu la lumière du jour, tu as une mine horrible, regarde moi ça, on croirait voir un cadavre, lui dis-je comprenant trop tard que je n'aurais pas dû prononcer ces paroles.

Elle me jeta un regard noir.

-Pardonne-moi Gaya, ce n'est pas ce que j'ai voulu dire.

Elle m'ignora royalement.

Gaya est devenue tellement sensible et tellement fragile depuis le décès de Neven, elle refuse totalement de faire son deuil et elle se laisse aller dans les méandres de la tristesse. Sûrement pense-t-elle qu'il pourrait revenir un soir chez eux... Mais je peux comprendre mon amie, je la comprends même, elle lui aurait voué sa vie sans aucune hésitation. Je les envie, on dit que les Envoûteurs sont semblables à des couples d'oiseaux : un seul partenaire pour une seule vie. Alors que moi, simple Elémentaliste, je suis juste vouée à communier jour et nuit avec les Quatre Éléments, même si mon cœur pense tout autre chose et me le fait savoir.

-Excuse-moi Astraë, reprit Gaya après d'interminables minutes, marchant silencieusement à mes côtés. C'est juste qu'en ce moment... Tu comprends... J'ai beaucoup de mal à me tenir au courant de ce qu'il passe en dehors des quatre murs de ma maison. Alva est venue me voir de nombreuses fois, mais jamais je n'ai eu le courage d'ouvrir cette porte. Me confit-elle honteuse.
-Gaya, ne t'en fait pas, je suis là pour toi, ne te morfonds pas sur toi-même de la sorte. Tu n'y es absolument pour rien dans cette histoire et tu n'avanceras à rien si tu continues comme ça. Ce qu'il te faut, c'est sortir, t'occuper petit à petit comme te promener dans les rues du Promontoire Divin, aller au marché. Reprendre une vie normale Gaya...
-Mais... et Neven, je ne peux pas l'oublier comme ça Astraë ! C'est impossible, je ne peux pas ! Et on a partagé tellement de choses, imagine si... Commença-t-elle paniquée.
-Gaya, Gaya, calme toi, je ne t'ai pas dit de l'oublier. Écoute Gaya, je ne vais pas mâcher mes mots. Il faut que tu te fasses à l'idée qu'il ne reviendra plus jamais. On est tous attristé à cette idée mais on n'imagine pas une seule seconde ta peine parce qu'on a peur de ressentir ce degré-là de peine aussi... Lui confiais-je. De toute ma vie je n'ai jamais vu de personne aussi forte que toi, alors bats-toi comme tu l'as toujours fais, je t'en supplie, il n'aimerait pas te voir ainsi...

De nombreuses larmes silencieuses avaient inondé ses joues déjà bien rougies.

-Tu... Tu penses ? Demanda-t-elle sans grande conviction en essuyant ses larmes d'un revers de la main.
-J'en suis certaine.

Par automatisme, nous étions arrivées à la Place des Ministres du Promontoire Divin. Une petite place ou quelques étales se trouvaient à droite à gauche, les marchands criant à tue-tête essayant de vendre à tout prix leurs babioles. Au centre siégeait une gigantesque statue d'un de nos Six Dieux.
Une voix nasillarde parvint à mes oreilles, me coupant de mes pensées.

-Venez rejoindre ma guilde « La Légion de l'Honneur » ! Une joyeuse petite guilde où on ne laisse tomber aucun partenaire d'armes !

La masse de gens ne lui prêtait pas plus d'attention qu'à un Skritt râlant parce qu'il se serait fait voler son trésor.
Personne ne lui prêtait attention, personne sauf ces quatre grands Guerriers qui avaient apparemment décidé de s'amuser un peu avec elle.

-Regarde là, me moquais-je, on dirait bien qu'elle a perdu sa langue, continuais-je en me tournant vers Gaya mais ne voyant pas celle-ci mon trouble fut décuplé. Alors je parlais seule depuis tout à l'heure ?!
Je cherchais mon amie du regard et quelle ne fut pas ma surprise lorsque je découvris celle-ci, à côté de la gamine en difficulté.
-Que pensez-vous faire de la sorte ? Lança-t-elle aux quatre grands gaillards.
-Qu'est c'qu'elle veut la p'tite dame ? Fit un d'entre eux avec un accent campagnard assez prononcé.

Fort malheureusement pour eux, Gaya n'est vraiment pas d'humeur. Je n'aurais pas choisi de l'embêter aujourd'hui personnellement.

Très discrètement, je m'étais rapprochée de la scène, m'adossant à un mur pas loin de mon amie pour garder un œil sur elle. Je sais qu'elle n'aura pas besoin de moi elle se débrouille très bien seule, mais sait-on jamais : je connais Gaya, pas ces hommes.
Doucement dans la paume de ma main, une flamme apparue, dansant avec le vent.

L'an mauditOù les histoires vivent. Découvrez maintenant