L'amour est une faiblesse

.6.

B.E.L.L.A.M.Y

Le jeune garçon nous emmène une centaine de mètres en aval de la rivière. A cet endroit, le courant est un peu plus fort et la rivière court entre des rochers acérés, danse dans des remous dangereux, saute entre les troncs et les branches des arbres qui ont succombé à sa violence.

Désespérément agrippée à l'une d'elle sur la rive opposée à la nôtre, une enfant s'accroche à la vie avec le peu d'énergie qu'il lui reste.

Charlotte.

Devant moi, la Princesse d'Arkadia crie le prénom de la jeune fille en détresse en même temps que celui-ci traverse mon esprit et le désespoir que j'entends dans ce timbre résonne en moi en milliers d'échos qui se brisent et me blessent. Mon cœur se serre, mes poumons se bloquent, mes muscles se tendent dans l'anticipation de l'action.

J'entends à peine ce que la jeune femme crie. Je vois le visage de Charlotte s'apaiser, les autres enfants courir à toute vitesse pour aller au village le plus proche, sans doute pour chercher de l'aide. Ce n'est que quand j'aperçois la blonde se saisir d'une longue branche et commencer à avancer dans l'eau que je réagis.

Je la saisis brutalement par le bras, plus violemment que ce que j'aurai voulu, et elle tourne vers moi un regard meurtrier. Ses prunelles azur me transpercent et je la lâcherai sans doute si je n'avais pas déjà affronté dans ma vie plus de colère et de hargne que celle qu'elle déverse à travers ses iris pourtant si purs.

Si je n'avais pas entendu les enfants l'appeler par son titre un peu plus tôt, je n'aurai jamais imaginé qu'elle était l'héritière du trône d'Arkadia. Pourtant, je comprenais à présent que je n'aurai pas dû me fier aux apparences. Elle était courageuse, intrépide et féroce. Je pouvais lire dans ses yeux qu'elle n'était pas née pour se soumettre. Elle était née pour diriger, pour régner. Pour être révérée.

Je la regarde tandis qu'elle se dégage avec force et s'enfonce un peu plus dans l'eau. Cette fois, j'entoure sa taille de mes bras et la soulève pour la sortir de la rivière. Elle se débat en vociférant, mais je maintiens ma prise jusqu'à ce qu'elle retrouve la terre ferme. Je ne peux pas laisser la Princesse d'Arkadia, aussi téméraire et tenace soit-elle, courir un tel danger.

- Il faut trouver quelque chose d'autre !

Je lui impose ma volonté et je vois clairement qu'elle déteste ça. Elle me répond immédiatement :

- Il n'y a rien d'autre à faire ! Je vais chercher Charlotte.

Elle essaie de se frayer un passage, mais je bloque l'accès à la rive.

- Dégage ! Maintenant !

Je ne suis pas sûr d'avoir déjà vu chez quelqu'un autant de détermination. Je comprends bien trop vite que si je veux ramener la Princesse saine et sauve auprès des siens, il me faudra user de solutions plus drastiques. Je me demande déjà comment je vais faire pour l'assommer, quand un craquement assourdissant et un cri déchirant transpercent l'atmosphère.

- Charlotte !

Clarke hurle, désespérée, quand la jeune fille disparaît sous l'eau, emportée par le courant contre lequel elle se bat depuis trop longtemps et qui vient de vaincre la branche à laquelle elle s'accrochait.

J'arrête de réfléchir. Mes émotions prennent immédiatement le dessus sur ma raison et je ne sais pas si j'agis ainsi pour éviter que la Princesse d'Arkadia risque sa vie, ou si je ne peux tout simplement pas supporter qu'une enfant innocente perde la sienne, mais dans un geste si rapide que la jeune femme est incapable de m'arrêter : je saute à l'eau.