Chapitre 3

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Lundi 11h32, en manque de sommeil depuis vingt-six heures.

Je sors du bureau de mon commandant d'unité en mode zombie, le pas traînant et la mine déterrée. Je viens de faire une overdose de cerveau et le festin m'a écœurée. En songeant aux raisons qui m'ont valu cette convocation, j'ai soudain envie de gober un globe oculaire et d'aller le vomir sur la place d'armes pour marquer le coup. Ma vie privée vient de faire irruption dans mon travail, et je n'apprécie pas du tout la plaisanterie.

Certes, l'armée de Terre française n'a rien à voir avec la pudibonderie américaine où la fraternisation entre les sexes est prohibée. Encore heureux pour les militaires qui n'ont pas le temps de partir en chasse. À titre personnel, ça m'arrange, car avant Marc, je n'ai pas toujours dormi dans mon lit réglementaire du BCC...
Hélas, ça devient compliqué lorsque l'histoire tourne mal et que la rupture provoque des remous dans le service. Dès lors, la hiérarchie se saisit de l'affaire, entraînant des conséquences plus ou moins fâcheuses sur la carrière. Cela peut prendre la forme classique d'une sanction disciplinaire ou plus vicieuse comme une mutation non désirée. Tant que ce n'est pas la mienne, tout va bien.

J'imagine qu'il s'agissait de l'espoir du sergent féminin qui me tient lieu d'adjoint, et à qui je dois ce « plaisant » aparté.
À peine l'ai-je croisée ce matin sans un salut de sa part, qu'elle se précipitait dans le bureau du capitaine. Pas compliqué d'en deviner la raison. Elle était moins habillée lors de notre dernière rencontre... Même si ça me pèse de le reconnaître, la confrontation par voie hiérarchique se serait produite tôt ou tard. Ne serait-ce que parce que j'aurais fini par lui enfoncer mes stylos dans les narines.
Mais lorsque notre commandant d'unité m'a exposé la situation en listant les griefs retenus contre moi, j'ai grincé des dents en fixant le sergent dans les yeux.

— Harcèlement moral ? Tentative de sabotage de votre passage au grade supérieur ? C'est la meilleure ! Quand, comment ? Et vous me prenez pour Dieu pour avoir une quelconque influence sur votre carrière ? Merci de laisser votre message après le bip sonore avant d'aller déposer plainte auprès de la gendarmerie !
— Chef, on n'en est pas encore là, mais il semble que vous ayez un gros problème avec le sergent. En tout cas elle en est persuadée. Les actes reprochés sont graves, je ne peux les écarter sans que vous vous expliquiez.
— Je comprends, mon capitaine. Mais dois-je en conclure que les jeux sont faits ? Que la parole d'un personnel ayant un contentieux privé avec moi, est forcément crédible dès lors qu'il agite la menace de harcèlement moral ?

Je me suis tournée vers mon accusatrice en réfrénant un regard meurtrier.

— Je veux des faits, sergent. C'est mon droit en tant que mise en cause. Et je vous conseille d'avoir des preuves parce qu'à partir de maintenant...

J'ai laissé ma phrase en suspens ; menacer de représailles une personne procédurière n'étant peut-être pas la meilleure des idées. Le message a d'ailleurs été saisi au vol par le capitaine.

— Allons, allons, comme vous y allez... Je vous connais depuis longtemps. S'il y avait eu un problème, votre chef de service aurait déjà soulevé la question. Je pense que Caillaud s'est un peu emballée, n'est-ce pas, sergent ?
— Mais c'est un ressenti global, est alors intervenue Caillaud. Je ne peux pas vraiment citer les trucs qu'elle m'a fait subir, mais je sais que je ne veux plus travailler avec elle, donc pour moi, y a harcèlement moral.

Ses tortillements mal à l'aise et sa façon d'éluder ont confirmé l'image négative que j'avais du personnage. Ma répulsion en est devenu physique. La regarder afficher un air de victime ou entendre sa voix m'a été aussi agréable que des ongles griffant un tableau en ardoise. Déjà qu'en dehors de l'épisode culbute, elle n'avait jamais été un modèle à suivre, alors là...

Coeur d'homme, âme de soldat 1 : Apprivoise-moiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant