Chapitre 7

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Un mois plus tard.

Monter une permanence un samedi, ça peut être un bon moyen de se tenir au courant des derniers potins d'une unité. Et si j'en crois mon binôme pour les vingt-quatre prochaines heures, ce n'est pas un épisode que j'ai raté de la vie frivole du régiment, c'est une saison complète !
Il me raconte tout ça de manière si distrayante que je ris sans arrière-pensée ou m'offusque exagérément à l'écoute de certaines histoires totalement extravagantes. Il faut avouer qu'en saison calme, le militaire est une source intarissable d'aventures cocasses ou incroyables. Entre ceux qui imaginent qu'emprunter une P4 à quinze grammes d'alcool dans chaque bras va les aider à se rendre au bar du coin sans plonger dans la rivière, et ceux qui croient que fumer leur shit dans le camion pendant une confirmation de permis va leur éviter de passer devant la hiérarchie...

La journée s'écoule tranquillement, ponctuée par les rediffusions de vieilles séries. Quelques appels de parents inquiets d'être sans nouvelles de leur fiston (certainement en train de cuver la sortie de la veille), viennent rompre cette monotonie...

Lorsque je reviens de l'ordinaire où j'ai picoré dans mon assiette, le lieutenant m'informe que le maître-chien d'astreinte vient de récupérer son arme de service et ses munitions. Il devrait repasser pour rendre compte de son départ en ronde.

Je tressaille instinctivement à ces mots. Yann n'a jamais donné suite à ma malheureuse et involontaire réponse. Pas plus qu'aux autres messages envoyés le lendemain, dans lesquels je tentais de lui expliquer ma bêtise. Au bout de deux semaines de silence assourdissant, je me suis dit qu'il était temps d'arrêter les frais, au point de désactiver mon compte.

À son retour de congés, il y a une semaine, je l'ai aperçu au rassemblement matinal. Mais le courage d'aller lui parler m'a manquée. Ma fichue peur de l'échec me pourrit encore l'existence. Ce n'est pas faute d'apprendre. De toute façon, sa manière d'esquiver tout contact avec les autres une fois l'appel rendu est décourageante. Il a tendance à filer vers le chenil sans un regard en arrière.

Aujourd'hui, je courbe l'échine et apprends à digérer le rejet même si ça déchire les boyaux. J'ai l'impression d'être une pénitente parcourant un éternel chemin de croix. Car j'ai enfin accepté mes sentiments. C'est douloureux. Ils sont puissants, violents et absolus. À croire qu'ils se nourrissent de ma peine. Je n'ose imaginer le mal que je lui ai fait, et en suis mortifiée.

À son départ en permission, j'ai commencé à errer entre mon boulot et mon appartement, sans conviction. Mon préavis donné, je me suis mise à la recherche d'un autre logement, envisageant même de retourner dans un studio de l'armée, et de placer mes affaires dans un garde-meuble.
Je n'ai avoué à Sandrine qu'une partie de mes mésaventures sentimentales, plus particulièrement mes démêlés avec internet. Elle a hésité entre rire et me réconforter. Du coup j'ai eu droit à une accolade agitée de ses fous-rire. En tant qu'amie précieuse, elle a su trouver les mots adéquats pour m'éviter de sombrer, m'incitant à ne jamais renoncer définitivement à l'amour. Nos autres copines, en mission actuellement, ont, elles aussi, tenté via skype, de me remonter le moral. Mais ce n'était pas pareil pour picoler en pleurant collectivement. J'attends le retour d'Emma et Claire avec impatience.

Cette fois, mes parents ont eu droit à un récit exhaustif des exploits de Marc. Ils ne m'ont crue qu'à moitié, mais je m'en fiche. Le cordon est enfin coupé. Ma mère a eu le temps de digérer la violence de notre échange lors de la soirée « cata-ternet ». Elle m'en veut sûrement encore. Mais grâce à ma sœur, je sais que le message est passé. Elle lui a même avoué être fière d'avoir une fille au service de la France.

J'ai repris le cours monotone de mon existence et commencé un travail introspectif me permettant enfin de mûrir. Mon talent naturel pour la gaffe n'a pas encore trouvé de nouveau locataire. On partage les murs, mais la plupart du temps, Madame Poisse me lâche la grappe. Bref, je deviens adulte, et franchement, ça n'a rien de drôle. J'aime pas du tout. Non, vraiment, je ne valide pas le concept.

Coeur d'homme, âme de soldat 1 : Apprivoise-moiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant