Chapitre 6

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Mercredi 08h04, engueulée avant le premier café du matin.

— Tu t'es bien foutu de moi avec tes grands discours sur les sentiments. C'était des conneries tout ça ! Depuis quand tu te fais sauter par un sub ? Tu m'as trompé avec un militaire du rang, bordel ! T'es vraiment tombée bien bas.

Okaaay, je reste calme, je respire et je me dis qu'une séance d'acupuncture au cactus aurait dû lui suffire. Vouloir un œil au beurre noir à tout prix, c'est de la gourmandise. Marc a traversé tout le régiment en quatrième vitesse pour être sûr de me cueillir à la fin du rassemblement de ma compagnie.

Le problème chez moi, et il devrait le savoir depuis le temps, c'est quand on essaie de m'acculer pour me faire avouer une faute que je nie farouchement avoir commise ; mes crocs poussent virtuellement. En bonne souris, j'essaie d'abord de me planquer en attendant que le raid soit passé. Mais si on me coince dans un coin, j'attaque. Et là, je me sens prête à mordre. S'il espérait me faire culpabiliser, c'est raté. Mais à voir les lieux où il me fait cette scène, je pencherais plutôt pour un baroud d'honneur avec pour but de m'afficher publiquement, et ça, ça ne passe pas du tout.

Une colère sombre et venimeuse s'infiltre dans tous mes organes, drainant rancœur, mauvais coups et mauvaise conscience. Le pire mélange. À chacun d'assumer ses fautes. Sans parler de la nouvelle qui circule ce matin, et que de bonnes âmes se sont fait un plaisir de colporter jusqu'à mes oreilles. Je suis une bombe à retardement et ce salopard appuie comme un forcené sur le détonateur !
Car non, Marc n'aura pas pleuré bien longtemps sur notre séparation, si j'en crois les plaisanteries à propos de couinements féminins échappés de sa chambre, hier soir. Son message déchirant de repentance, c'était avant ou après en avoir fini avec Voldemorue ?

— Venant d'un type qui fourre sa queue dans n'importe quoi quand j'ai le dos tourné, c'est assez cocasse !
— Je vais le démonter ce mec ! Il s'est passé quoi avec lui, hein ?
— Primo tu ne vas rien faire du tout, tu n'as pas assez de muscles. Il est en permissions depuis hier soir, et il ne te doit aucune explication. Deuzio, cela ne te regarde plus. Je n'ai pas à me justifier.
— Et je passe pour quoi moi ? Le cocu de service ! Tout le monde parlait de notre rupture ce matin au rassemblement ! Et l'équipe cyno qui rigolait parce que tu t'étais déjà remise en selle avec l'autre con, Tu n'as pas été discrète en plus !
— Je fais ce que je veux de mon temps libre et avec qui je veux. Je n'ai de comptes à rendre à personne puisque je suis officiellement célibataire depuis lundi matin. Si les gens veulent parler, qu'ils le fassent. Qu'ils aillent s'acheter une vie plus intéressante au supermarket, aussi, ça les occupera. Quant à la discrétion, tu n'as pas de leçons à me donner. Et en quoi se rendre au chenil pour voir quelqu'un devrait prêter le flanc aux rumeurs ?
— Ne me prends pas pour un abruti ! Tu n'y es pas allée pour compter les muselières ! Par ta faute, les gens sont en train de me prendre pour un imbécile, tellement incapable de dresser sa nana qu'il est obligé d'aller voir ailleurs ! Et toi, tu passes pour une salope infidèle !

Mais il va arrêter de brailler pour ameuter le régiment ? Merde !

— Je vais être très claire, Marc. Les rumeurs au sein du régiment je m'en contre-fiche. Ma réputation je m'en tamponne. Tes craintes pour ta réputation de queutard me sont totalement indifférentes. Tu t'es atomisé comme un grand - comment ça j'ai dit gland ? - et si aujourd'hui on parle de tes exploits, c'est parce que ta nouvelle copine a la langue trop bien pendue.
— Parlons-en, justement ! Tu t'es servie de ta position pour la faire virer du service. Je ne te croyais pas si mesquine.
— Pour ton information, c'est Voldemorue qui a lamentablement planté sa tentative de putsch. Pas moi. Maintenant, tu m'excuses, mais j'ai du boulot, et tu t'interposes entre moi et ma dose de caféine. Tu tiens vraiment à en tester les effets ?

Alors que je tourne les talons, le plantant au beau milieu de la place du rassemblement devant les quelques témoins restants, je l'entends pester contre la nature profonde des « gonzesses ». En gros, toutes des connasses. Parfait, il ouvre enfin les yeux !

J'arrive dans mon service, passablement agitée par la grande scène du III qui vient de se jouer en public. Je me sens mal, nauséeuse, avec un concert de marteau-piqueur en guise de musique intérieure. Cette dispute m'a bousillée, même si j'ai masqué ma détresse en conservant une attitude combative. Je hais les conflits, je fuis l'engagement, mais avec ce qui vient de se produire, je ne mérite plus trop ma couronne de reine de l'esquive. Fight club, attends-moi, j'arrive !
Mon chef de service m'attend de pied ferme justement, devant mon bureau encore fermé. La professionnelle efficace prend immédiatement le pas sur la folledingue habituelle. Certains jours, endosser un nouveau rôle au gré de mes interlocuteurs me rendrait presque schizophrène.

Je salue mon supérieur du traditionnel « mes respects mon commandant », et après avoir ouvert la porte pour le laisser passer, j'entre à mon tour. Il attaque sans attendre, de sa petite voix sifflante qui m'a toujours fait flipper. Ce supérieur me rappelle Kaa, le serpent du Livre de la jungle. À tel point que la plupart du temps, j'évite de le regarder dans le blanc de l'œil. Le jour où il me susurre « Aie confiaaaanssss », je hurle !
À son froncement de sourcil, je comprends que les intrusions dans ma vie privée sont loin d'être terminées. J'endosse ma carapace de pangolin et attends l'orage qui se profile.

— Chef, je viens de recevoir un mail de votre commandant d'unité. Il laisse entendre que le sergent Caillaud doit être réaffectée en raison d'un conflit avec vous. Qu'avez-vous fait ?
— Je n'ai fait aucune démarche en ce sens mon commandant. Toutefois, le sergent Caillaud a demandé un entretien auprès de notre commandant d'unité en m'accusant de harcèlement moral. Il a effectivement décidé de la sortir du poste en raison de ses accusations mensongères.
— Comment ? Mais à quoi pensait Caillaud ? De toute façon, ce n'est pas à un capitaine de décider de l'organisation de mon service, dois-je vous le rappeler ?
— Je l'ai appris à la fin de cet entretien en supposant que le capitaine avait déjà vu ça avec vous, mon commandant. Ayant posé cette matinée-là en permission, je n'avais pas de raison de revenir sur une décision de commandement. Souhaitez-vous la réintégrer dans sa fonction ?
— Non, cette fille est une idiote incompétente, on va lui trouver un poste qui correspond à ses capacités.

C'est bien la première fois que je l'entends émettre une opinion aussi tranchée. Habituellement, nos chefs s'entendent entre eux pour parler de leurs subordonnés loin de nos oreilles. Le fonctionnement de notre hiérarchie est bien rodée ; critiquer ouvertement c'est prendre le risque de s'exposer soi-même plus facilement. C'est pourquoi sa réaction me sèche sur place.

— Mais je n'apprécie pas que la chaîne hiérarchique ne soit pas respectée. Il aurait dû me soumettre l'idée au lieu de me mettre devant le fait accompli. De toute façon, c'est moi qui décide.
— Voulez-vous que je contacte le capitaine Warchowski afin qu'il se déplace et vous explique la situation ?
— Pas besoin, je vais discuter de ce problème directement avec lui par téléphone. Mais que cela ne se reproduise pas.

Je hoche la tête et respire à nouveau normalement dès qu'il sort de mon antre.

Aaah ça, elle m'aura bien fait ch... tourner en bourrique, celle-là. Au moins, je suis certaine de ne pas la recroiser dans les couloirs. Une fois le coup de fil passé, mon chef de service vient m'informer des suites de ce dossier épineux. Soit il cherche des amis, soit il est vraiment ravi de s'en être débarrassé car il n'a jamais été aussi loquace. Il l'a affectée dans une unité de combat dont je connais la réputation. Si elle ne se met pas au boulot rapidement en apprenant à se taire, son chef de bureau (bien moins conciliant que moi avec des biceps trois fois plus gros) devrait lui montrer gentiment la sortie.

Un quart d'heure plus tard j'ai vidé la cafetière du service à moi toute seule et j'entame enfin une journée de travail qui s'annonce interminable à cause d'un mal de crâne digne d'une guerre nucléaire. Les coups de fil se succèdent, la paperasse traitée rapidement s'accumule dans la corbeille des choses à classer et mon taux d'attention chute au niveau de celui d'un hamster sous tranxène. C'est officiel, je déprime.

Mon cœur saigne depuis hier et le rejet de Yann.

Coeur d'homme, âme de soldat 1 : Apprivoise-moiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant